Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

A Carpentras chez la grand 'tante

Né en 1940, mort après 2020

Vingt-huitième partie

A Carpentras, chez la grand ’tante !

Avez-vous vu le film de Comencini sorti en 1974 «  Mon Dieu comment suis-je tombée si bas ? » « Mio Dio come sono caduta in basso » ?

L’actrice choisie par le réalisateur était la pulpeuse et sensuelle Laura Antonelli. C’est elle qui par cette interrogation toute intérieure, donne ainsi son titre au film. Je ne vais pas vous le raconter ! Seulement vous dire que la belle Eugenia de Maqueda (Laura Antonelli) est frustrée de relations amoureuses puisque le jour de son mariage et de sa « nuit de noces », elle et son aristocrate de mari croient découvrir par hasard qu’ils sont frère et sœur ! Pas question de commettre un tel inceste ! La jeune mariée se résigne à cette chasteté forcée mais ses sens lui rappellent plus d’une fois qu’ils ne sont jamais comblés ! Ah ! Les désirs sensuels d’une telle jeune femme, ils sont là, et de temps en temps les frémissements de son corps se manifestent fortement ! D’autant plus que nombreux sont les hommes qui lui font sentir qu’elle est une femme hautement désirable ! 

Toujours est-il qu’un jour elle succombe et avec quel partenaire ? Nouvelle Lady Chatterley, l’heureux élu de son cœur, de son corps plutôt, n’est pas un garde-chasse mais son chauffeur ! Ils se sont retrouvés dans une grange, en pleine campagne. Ce jour-là, elle lui cède, rapidement, mais sans l’aider elle-même à la dévêtir de ses nombreux jupons, corsets, et parures divers que portaient les femmes aristocrates de ce début de XX° siècle !  Elle reste passive, geint d’un désir impatient tandis que le chauffeur s’acharne, difficilement, à la libérer de ses nombreux atours qui enferment une aussi pulpeuse chair. Il finit enfin par atteindre cette peau, ce corps tant désiré et ils se procurent alors mutuellement les plaisirs auxquels tous les deux aspiraient ardemment, lui,  fort et fougueux, elle, offerte, dans une passivité qui dissimulait mal son impatience ! 

C’est la toute première fois ! Elle a honte : non seulement elle est gravement coupable de cet adultère, ce péché de chair, mais, qui plus est, avec un homme de basse classe, un domestique ! « Caduta in basso » ! Aussi lorsqu’elle rentre chez elle, elle commande à ses nombreuses servantes de la laver ! Vite ! Qu’elle soit lavée, purifiée !

On assiste à une scène extraordinaire. Dans cette maison de riches aristocrates, c’est une époque où il n’y a ni salle de bain avec baignoire, ni eau courante chaude ou froide au robinet ! Mais il y a de nombreuses servantes. Les unes apportent le grand « tub » qui servira de baignoire, transportent les brocs d’eau chaude et froide pour le bain de madame. D’autres allument le feu qui doit réchauffer la pièce et s’affairent à déshabiller la belle Eugenia. Elles l’aident à se plonger nue dans le tub et les servantes vont la savonner, frotter, laver soigneusement sur toutes les parties du corps, particulièrement les plus intimes les plus souillées par les étreintes et  effluves du mâle !

Cela dit, purifiée ou pas son histoire de plaisir et d’amour n’en continuera pas moins ! Mais ce n’est pas le lieu ici de raconter le film !

Pourquoi cette introduction à ce chapitre de mémoires où je compte parler un peu de mes séjours d’enfant à Carpentras chez la vieille tante aristo si sévère pour ce petit Henri qui ne savait pas maîtriser ses spasmes œsophagiens ?

Parce que la maison à la campagne où habitait la tante, à quelques kilomètres de la ville, n’avait aucun confort. Pas d’eau courante, pas de salle de bain ni de  toilettes avec cuvette et chasse d’eau. Pas même un lavabo. On se lavait les mains avant de manger, à la cuisine où une  servante dévouée, fidèle, remarquable cuisinière, notre célèbre madame Nicolas, avait rempli avec des brocs une petite fontaine. Elle était allée chercher l’eau dehors, à la pompe d’où un moteur électrique faisait jaillir d’une source profonde, un jet abondant d’eau fraîche et pure.

Et comment se lavait-on autrement que, sommairement, les mains ? C’est là que cela commence à ressembler au bain de la belle Eugenia du film de Comencini, avec ses servantes. A un rythme que j’ignore, mais probablement au mieux hebdomadaire, sinon de quinzaine, je montais un escalier tortueux et pentu, pour arriver aux chambres des tantes. Là, madame Nicolas – ou peut-être la grande tante, ou même moi-même à partir d’un certain âge, -- avait monté des brocs d’eau chaude et les versait dans un grand « tub » ! On me plongeait dans le tub ! Comme Eugenia ! Mais il n’y avait pas de nombreuses servantes et pour le déshabillage et le savonnage je crois, sans certitude, que je me débrouillais tout seul ! Pour le rinçage, je me mettais debout dans le tub et « on » (la tante ? Madame Nicolas ? Maman parfois présente ? Je ne sais plus !)  me versait de l’eau tiède avec un broc ! J’écris « je » mais lorsqu’il y avait mes frères la cérémonie de la toilette était la même !

Et voilà comment malgré l’inconfort on arrivait à laver de temps en temps les enfants.

Comment notre vieille tante et sa sœur presque aussi âgée se lavaient-elles ? Probablement de la même façon ! Vu que l’escalier était étroit et raide, que  les seaux et brocs d’eau étaient lourds à monter, on comprend que les séances de nettoyage des uns et des autres aient été très espacées ! Finalement il était vraiment dommage, n’est-ce pas que notre vieille tante qui tenait à se distinguer des « gens du peuple », pour reprendre son langage, et revendiquait ses origines aristocrates anciennes, n’aient eu à sa disposition que la brave madame Nicolas en lieu et place de l’armée des servantes de l’Eugenia du film de  Comencini!

Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui soit plus sévère et méprisant  pour les « « gens du peuple » et si attaché, du moins en paroles, à sa supériorité de classe que cette grand ’tante. En même temps je crois me rappeler que dans ces relations personnelles avec les gens, elle était respectueuse et les traitait correctement ! Seulement pour elle, chacun devait rester à sa place : il y avait ceux d’en bas et ceux d’en haut et il ne fallait pas confondre les places des uns et des autres !

Elle n’avait jamais bien admis que ma mère, sa nièce bien aimée, ait épousé un « marchand » ! Mon père était fils de commerçant et pour une aristo ou prétendue telle, un marchand n’est qu’un marchand, sous-entendu, sans la qualité, la « distinction » propres aux nobles et gens des classes soi-disant supérieures. En fait, elle méprisait notre père à cause de ses origines familiales mais aussi hélas parce qu’il était malade et qu’elle attribuait sa faiblesse, d’origine pathologique, à un manque de virilité ! Je me rappellerai toute ma vie deux scènes caractéristiques. La première, c’est, en ma présence, ma mère pleurant auprès de cette tante qui, je l’ai déjà écrit, lui servait de substitut de sa mère morte bien trop tôt. Pourquoi pleure-t-elle ? Parce qu’il lui arrivait de trouver trop difficile d’avoir à élever six enfants à côté d’un mari que sa maladie rendait passif, très passif et qui, en plus, la privait progressivement, par le déclin de son commerce, de l’aisance qu’elle avait connue dans sa famille et au début de son mariage. Il est fréquent que des mères de famille surchargées connaissent des moments d’extrême lassitude, de découragement, voire de dépression ! J’étais dehors mais j’entendais tout. Aujourd’hui, j’entends encore la vieille tante répétant à ma mère : « Divorce, Louise, divorce ! » et ma mère répondant « non je ne peux pas ! Je ne veux pas » et elle cherchait à refouler ses larmes. Enfant, j’avais à la fois été ému des pleurs de ma mère et choqué des réponses de la tante. Ma mère était pour moi un personnage sacré et je me demandais comment elle arrivait à faire face ! Ses larmes de lassitude extrême me chaviraient mais ne m’étonnaient pas. Et je savais, intuitivement qu’elle ne nous priverait pas de notre père,  contrairement aux conseils de sa tante !

La deuxième scène fut ce triste 17 avril 1957, j’avais à peine dix-sept ans et ce jour-là nous apprenons la mort à 23 ans de notre frère Pierre, officier, pilote de chasse sur la base d’Orange ! Mon père et mes sœurs arrivent avec des officiels de la base, à la propriété de Carpentras où nous sommes avec ma mère et mon frère plus jeune et nous annoncent la terrible nouvelle ! Sinistre cortège qui gravit le chemin qui monte à la maison. Et c’est notre  père qui apprend à notre mère et nous la mort brutale, le matin-même, de notre frère Pierre. Il se jette en sanglotant dans les bras de ma mère ! L’un et l’autre restent enlacés, écrasés par la douleur et l’un et l’autre en pleurs ! Tout cela était bien normal tant la mort si brutale de ce fils, si jeune encore et tant admiré, bouleversait le père comme la mère et chacun d’entre nous ! Les sanglots et les larmes viennent alors naturellement, expression d’une trop grande douleur !

A ce moment, la vieille tante, a un regard de mépris pour mon père et marmonne qu’un homme, un vrai homme, ne devrait pas pleurer comme notre père pleurait ! Toute ma vie – cela fait déjà plus de 60 ans ! --  je me souviendrai de ce mépris ainsi manifesté à propos de mon père par cette tante ; d’autant plus, hélas que j’étais, chez les scouts, élevé, moi aussi, dans l’idée qu’en effet, un homme, un vrai homme ne doit pas pleurer, ce qui n’est qu’une manifestation de faiblesse. J’avais à peine dix-sept ans et à cet âge ces événements vous marquent ! Insupportable conception d’une soi-disant virilité qui devrait empêcher les hommes de pleurer avec leur femme dans des circonstances aussi difficiles à vivre ! Au nom de quoi ? Dans quel but ? Derrière cette conception de ce que devrait être le « vrai homme, mâle » il y a toute l’histoire multiséculaire de leur domination exercée justement par cette force masculine, antichambre de la violence qui a assujetti le monde aux mâles dominants, aux plus forts, ceux qui ne pleurent pas mais font souvent pleurer les autres !  

Finalement le mépris éprouvé et hélas, exprimé en ce jour de désolation par la grand ‘tante avait été ancré en elle par toute l’éducation reçue dans son milieu et par des siècles d’idéologie où la partie masculine de l’espèce humaine, avait réussi à faire croire que les femmes, faibles, trop facilement larmoyantes, devaient rester soumises aux hommes et confinées aux tâches domestiques sans se mêler des affaires de la Cité, ni de la marche du monde ! 

A Carpentras, dans cette propriété au beau nom de « La Clémente », j’ai passé de longues semaines, le plus souvent avec mes frères, parfois mes sœurs aussi. Dans mes souvenirs ce furent semaines d’ennui, d’attente impatiente de l’arrivée de notre père qui nous ramènerait à Marseille !

N’en ai-je que de mauvais  souvenirs ?  Non ! Je me rappelle nos premières cigarettes piquées sur le bureau de la tante et fumées en cachette dans les vignes au-dessous de la maison avec mon frère Antoine. Le prétexte de notre échappée dans les vignes était le désir d’aller y procéder tranquillement, à ce que d’habitude on va faire sur un siège de toilettes ! Les seuls autres lieux disponibles, préposés à cela, étaient juchées dans un coin de jardin près du poulailler au milieu d’orties et d’herbes peu accueillantes, aussi préférions-nous de beaucoup les vignes !

Un autre souvenir, cette fois, plutôt avec mon frère Jacques, est le festin de cerises prises directement sur l’arbre ! Un vrai régal ! A quelle époque de l’année ? En principe, les cerises se mangent plutôt en juin et ce n’est pas un mois de vacances ! Allez savoir ! Mais le festin de cerises cueillies sur l’arbre et en quantité illimitée est un souvenir ferme !

J’en ai d’autres et en définitive je ne peux pas écrire que j’aurais été vraiment tout le temps malheureux. Il y a eu des moments agréables, heureux, même avec les tantes !

Il me reste tout de même gravée dans ma mémoire cette  chose étonnante dont je vais parler maintenant :  j’en vois encore les lieux avec précision!

A Carpentras, sur la place de l’hôpital, à un coin de rue, il y avait le départ des cars de Marseille. Une ligne directe permettait par Cavaillon de rejoindre cette ville. Le terminus de ce car, était, à Marseille au bas des escaliers de la gare. Pour moi, pendant des années, à Carpentras, le point de  départ de ce car était le premier pas vers la liberté retrouvée, loin de l’enfermement de la propriété de la vieille tante ! Je n’en ai  jamais parlé à personne, à cette époque, mais ce lieu était pour moi l’endroit où, un jour, arriverait mon père ! Or, mon père, cet homme grand et fort, une fois à La Clémente, me protègerait de l’autoritarisme et du mépris de la vieille tante. En sa présence elle n’oserait pas être dure et violente avec moi ! Bizarre ! Je pensais à mon père comme à un protecteur contre la tante, alors que je crois bien que celle-ci n’a jamais exercé la moindre violence physique contre moi ! Et, de plus, elle faisait, pour nous le mieux de ce qu’elle estimait être son devoir puisque ma mère nous avait confiés, en toute innocence, à elle, à son amour de grand ‘tante !

 Que les choses sont compliquées et que ce qu’on vit, ce qu’on a vécu, ressenti, éprouvé, ne se résume pas à des simplifications abusives ! Le mauvais et le meilleur peuvent se vivre ensemble avec les mêmes personnes et dans les mêmes lieux. Nier le négatif, refuser de le reconnaître est une erreur, selon moi, profonde, comme l’est, de ne voir que ce négatif et d’en imputer la responsabilité à qui ne savait pas à quel point  certaines attitudes, certains jugements pouvaient être nocifs !

Pour en finir avec la vieille grand ‘tante, une anecdote. Elle s’appelait Delaage. Elle savait que vivait une famille dont le nom séparait le « de » du « laage », les « De Laage » ! Du coup elle critiquait ses ancêtres ! Selon elle, Ils avaient été des lâches, des pleutres ! Pourquoi ? Parce qu’au moment de la Révolution, un peu avant la Terreur, par peur, pour éviter la guillotine, sauver leur peau, ils avaient renié leur origine noble et attaché le « de » au « laage » et ainsi leur nom avait perdu la particule qui désignait les aristocrates, les gibiers de guillotine !

Un tel renoncement ! Quelle honte !

Henricles. A Silhac le 7 août 2021

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article