Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Vingt sept ans d'enseignement

            Huitième partie. B 27 ans d’enseignement 

En tout dix établissements et peut-être 2000 à 2500 élèves !

Le moins agréable : le lycée Thiers, mon sixième établissement, le plus prestigieux des lycées de Marseille parce qu’il y a les classes prépas ! De nombreux professeurs agrégés qui se prennent au sérieux parce qu’ils préparent les « élites » ! Ils sont préoccupés, d’abord de leurs vacances, ensuite de leurs heures supplémentaires, et gagnent de l’argent par les « colles » c’est-à-dire les interrogations d’entraînement pour les élèves des classes prépas : ça rapporte bien ! Cela dit, comme toujours, il y a des collègues avec qui je m’entends bien, mais sans plus !

J’y ai été nommé, en premier poste, lorsque j’ai passé l’agrégation d’Histoire. J’y suis resté trois ans de 1969 à 1972. La première année fut très difficile. Je l’ai raconté ailleurs, j’ai été chahuté par ma classe de terminale ! Cela se savait dans la salle des profs mais… motus et bouche cousu, aucune allusion ! Cette année-là je mesure plus que je ne l’avais  jamais senti et que je le sentirai plus tard, la solitude du professeur ! Il est seul dans sa classe et quoi qu’il arrive, il doit se débrouiller seul ! Aucune aide à attendre ni des collègues ni, à mon époque, de la direction.  Pendant mes 27 ans de prof, je n’ai jamais eu le moindre démenti à ce sujet ! Au contraire, je me rappelle un « gentil » collègue, un vieux de la vieille, disant un jour, devant moi, perfidement, en salle des profs : « le problème est qu’une fois chahuté une année, les élèves le savent et se transmettent l’information l’année d’après et ainsi de suite …c’est l’engrenage »…Sympa et encourageant  le collègue !

Je l’ai fait mentir : non seulement la première année j’avais réussi à circonscrire le mal à une seule classe et me préserver avec les autres, mais dès la deuxième année, j’avais rétabli ma situation : finalement ces années au Lycée Thiers se sont au total, bien passées. Mais je ne me voyais pas, à 30 ans, passer toute ma vie à enseigner l’histoire et la géographie dans le même établissement, au même type d’élèves, au milieu des mêmes collègues, à l’affût de mon bâton de maréchal, le jour où, assez ancien, on m’aurait confié une classe de Khâgne ! Plus de prestige, moins d’heures à assurer ! Ce n’était pas mon choix. Je sais qu’un de mes collègues du lycée, a fait ce choix et s’en est, je crois, bien porté ! Chacun ses choix et on doit les respecter !

En 1972 je saisis la chance de changer et suis recruté comme Conseiller en formation continue affecté au rectorat !

Dans le premier établissement où j’avais enseigné, là aussi ce fut la catastrophe ! C’était l’année 1962 / 1963, chez les Jésuites, là où j’avais fait toutes mes études secondaires ! Six heures par semaine dans deux classes de quatrième et cinquième ! Tout jeune, tout naïf, même pas encore doté d’une licence complète, je crois qu’on peut être copain copain avec ces adolescents et les laisser parler et bouger comme ils veulent ! En plus je ne sais pourquoi, je manque de sérieux : je compte sur l’écart important qu’il  y a entre mes connaissances et leur ignorance, je ne prépare pas bien mes cours ! Bref, je ne sais pas faire et personne ne m’a jamais indiqué la moindre méthode. Je me suis tout d’un coup bombardé professeur dans un collège où, en plus, mon parcours d’élève n’avait pas été brillant, où je me  suis senti donc psychologiquement déstabilisé.  Résultat : je suis vraiment mauvais !

Les Jésuites, ne m’ont pas proposé le service complet d’enseignant dont j’avais besoin pour l’année d’après où je me mariais ! Ils  m’ont indiqué  une autre école qui recrutait, à l’autre bout de Marseille !

Mon année dans ce deuxième établissement, (1963 / 1964) l’école Tour Sainte à Sainte Marthe, à Marseille, fut, de loin, la plus… épuisante ! Je me demande encore aujourd’hui comment j’ai pu résister à cette situation de forçat ! Vingt-trois heures de cours par semaine. J’enseigne le Français en seconde, l’histoire et la géographie en première, la géologie, oui, la géologie, en quatrième, les « travaux expérimentaux » en sixième, le latin en troisième ! Je crois que c’est tout ! Ne me demandez pas ce que sont les « travaux expérimentaux », je n’ai jamais réussi à savoir ! Le directeur non plus ! Toujours est-il que j’étais une ou deux heures par semaine dans une salle de classe habituelle, avec craie et tableau noir, devant 20 ou 25 élèves de sixième ! Je ne sais plus ce que je faisais avec eux ! En fait c’était moi qui faisais un « travail expérimental » : « expérimenter » de rester une heure ou deux sans savoir ce qu’il fallait enseigner, sans programme ni évidemment le moindre matériel !

J’habitais à 20 kilomètres de l’école, il me fallait traverser toute la ville de Marseille ! J’étais en mobylette ! A un certain moment du trajet, j’étais rejoint  par un élève, lui aussi en mob et nous « gymkhanions » tous les deux entre les voitures et les bus pour arriver : Jamais d’accident, ni lui, ni moi, ouf !

En plus de mes cours et mes trajets, je préparais mon dernier certificat de licence, celui de géographie. Je devais donc aller de temps en temps à Aix quand je pouvais. Pas étonnant que le professeur qui m’interrogeait le jour de l’examen m’ait dit qu’il ne m’avait pas souvent vu à ses cours ! Peu importe avait-il ajouté, vos réponses sont satisfaisantes, vous aurez votre certificat ! Ouf ! En effet j’ai réussi !  Il doit y avoir une providence pour un  jeune marié, forçat de l’enseignement !

Le soir, ma pauvre femme retrouvait un mari complètement crevé et parfois elle devait le soigner pour des rhinopharyngites carabinées avec des fièvres de 40° et plus, au cours desquelles il délirait et prononçait des discours politiques enflammés ! Cette année-là j’ai particulièrement apprécié les longues vacances des professeurs !

1964 / 1966 : troisième établissement, pour cause d’obligations militaires accomplies en coopération ! En Algérie, ce n’est que deux ans après l’indépendance. L’Internat des Pères blancs demeure encore « européen » par son personnel, même si évidemment les élèves sont tous Algériens. Je n’y ai pas de souvenir impérissable. Ni positif ni négatif. Il fallait enseigner l’histoire de l’Algérie et ce n’était pas facile parce que les manuels étaient de l’époque de la colonisation, racontaient les choses du point de vue de l’ex-colonisateur !

Les relations avec les élèves étaient sans nuage mais ils restaient distants, réservés. Je n’ai pas de souvenir de rencontres avec les parents. Ce collège privé, payant, avait bonne réputation et les élèves appartenaient à des familles privilégiées contentes que leurs enfants aient des« professeurs compétents» : Algériens ou  Français cela leur était égal !

Pendant ces deux années j’ai préparé le DES, diplôme d’études supérieures d’Histoire qu’il était nécessaire d’avoir, après la licence, si un jour on devait présenter l’agrégation ! Mon patron de DES était de la vielle école, pied-noir proche du départ pour la France ! Il m’avait confié un travail à partir de clichés de photos issus des archives de la couronne de la monarchie d’Aragon ! Ces clichés étaient écrits en paléographie du XIV° siècle en catalan ! Il m’a fallu environ un an pour les déchiffrer et les comprendre ! Là encore, la vie fut parfois difficile mais lorsqu’on vient de se marier et que naît son premier enfant, on voit la vie en rose malgré les fatigues, on est heureux !

Et puis j’avais cherché à prendre le maximum de contacts avec des Algériens pour connaître un peuple enthousiaste de son indépendance, de son identité retrouvée. Comme je n’étais pas « pied-noir » mais « pied-rouge » comme on disait, je n’ai eu que des relations cordiales avec les Algériens que j’ai rencontrés. Et je me rappelle que dans les bus, les gens se levaient pour donner leur place assise à ma femme qui, au début de notre séjour, était enceinte de huit mois. Par contre, j’avoue ne pas avoir mesuré à quel point les traditions de l’Islam pesaient sur cette population. Ils étaient encore extérieurement marqués par les comportements du temps de l’Algérie française. Ce n’est que plus tard que les choses ont changé, avec arabisation imposée et emprise de traditions musulmanes obscurantistes venues du Moyen-Orient !

1966, retour en France. Je pose une candidature au Rectorat et on me propose un poste de surveillant je ne sais où, loin de Marseille ! En conséquence je préfère choisir l’enseignement privé et deviens professeur à l’Ecole Lacordaire où je resterai de 1966 à 1969. Quatrième établissement. Je n’y ai que de bons souvenirs aussi bien avec les collègues que, surtout, avec les élèves : je commence à avoir un peu d’expérience !

C’est à Lacordaire que je m’initie à l’économie pour créer la section « B » option économique et sociale. Si bien que la dernière année, pour mes élèves de terminale je suis le professeur de loin le plus important par le nombre d’heures en histoire, géographie et économie. Je me rappelle avoir eu des relations très détendues ! Une fois certains se sont amusés à déplacer ma 2 CV que j’ai dû chercher dans la propriété ! Je les ai gentiment admonestés et j’ai terminé par une plaisanterie un peu trop lourde pour être racontée ici. On avait ri c’était l’essentiel.

Ce sont ces élèves qui, en mai 68 s’inquiétaient de la durée de la grève et nous demandaient tous les jours quand on allait reprendre le travail de préparation du bac ! Comme je l’ai déjà raconté, dans cette école d’enseignement privé catholique, nous sommes restés, de fait, à l’écart des mouvements de Mai 68. Et les élections législatives de juin qui ont vu le succès éclatant de la Droite ont soulagé et la direction de l’école et ceux des parents et élèves qui donnaient le ton ! Pas étonnant ! Pendant ces années à l’école Lacordaire, l’école de « jeunes filles » voisine, Sévigné, me demande des cours pour la section « B » ! C’est mon cinquième établissement. Quelques heures par semaine ! Je découvre pour la première fois des classes de filles !

Quelques années plus tard la mixité sera généralisée. Je me rappelle le censeur du lycée Thiers inquiet : «s’il y a mixité, comment allons-nous faire pour les cabinets » ? Je n’ai pas  entendu dire que la mixité ait provoqué des catastrophes dans ce domaine !

Pourquoi seulement deux mois en 1978  au lycée Montgrand à Marseille, mon septième établissement ?  Absurde ! J’avais démissionné de mon poste au Rectorat en  formation continue, en désaccord avec mon chef de service ! Je préférais redevenir enseignant ! Le temps que la bureaucratie se décide, je retrouve un accord avec lui  pour rester, mais c’est trop tard ! On m’a nommé en lycée et mon poste au rectorat est vacant ! Alors nous décidons tous les deux que je me présente comme candidat au poste déclaré vacant un mois avant ! Et comme il s’agit de me remplacer je suis forcément le meilleur candidat et je reviens au rectorat deux mois après l’avoir quitté ! Pendant ces deux mois j’avais pris le poste auquel on m’avait affecté, au lycée Montgrand ! Dans ce lycée par le plus grand des hasards, je retrouve comme collègue, professeur de philosophie, le dominicain que j’avais fréquenté pendant longtemps autour de mes vingt ans ! Il avait quitté l’ordre, s’était marié et avait passé l’agrégation de philosophie ! A ce moment-là, il votait communiste !

Pour un an seulement (1985 / 1986), le lycée Saint Charles à Marseille.  Huitième ! Copie conforme du lycée Thiers mais moins prestigieux, il n’y a pas les classes préparatoires aux grandes écoles ! Un an, parce que c’est un poste attribué par le Rectorat en attendant une nomination sur un poste de titulaire. Plusieurs souvenirs. J’organise une sortie avec une classe de première, à la Fontaine de Vaucluse ! Une réussite ! Dans ces années on était encore dans la pénurie. La collègue responsable du « labo » d’H. et Géo. m’attribue généreusement le droit de distribuer une quantité limitée de « x « photocopies à mes élèves, ni une de plus ni une de moins ! Elle me dit, un jour, que mes élèves de Première me détestent ! En fait elle se trompe. En effet, peu habitués à ce qu’un professeur fasse régner une discipline de fer au début, pour imposer son autorité, les élèves ne m’aimaient pas… beaucoup. Mais une fois qu’ils avaient compris que le seul patron dans la classe c’était le professeur pour les faire travailler, alors les cours se passaient dans une atmosphère détendue. Je me rappelle une ancienne élève de cette classe rencontrée plusieurs années après, à la sortie d’un film, avec qui nous avions évoqué ces premiers cours trop sévères, suivis de semaines tranquilles et détendues. J’ai longtemps pensé que le professeur doit, au début, dès les premières heures dans une classe, montrer qu’il sera sévère avec ceux qui prétendraient contester son autorité et gêner le travail qu’il est chargé de faire réaliser dans l’ordre et le calme !

Neuvième établissement ! En 1986, le ministère se décide enfin et me nomme professeur titulaire au collège Lakanal à Aubagne. Surpris mais content : j’habite à Aubagne. Un peu bizarre de nommer en collège un agrégé qui n’a jamais été préparé à y enseigner et qui, au vu de son agrég et de son expérience, serait mieux en lycée de second cycle ! J’y resterai dix ans. Au début tout est nouveau et j’aime bien. Les cours ne me demandent pas une préparation trop importante, les copies sont vite corrigées ! Les petits Sixièmes ou Cinquièmes sont curieux, attachants, la plupart, innocents, malheureusement pas tous ! Je bénéficie, aux yeux de la direction, des élèves et des collègues, du prestige, à mes yeux ridicule et suranné, d’être le seul agrégé du collège ! C’est certes ridicule, mais agréable ! Cependant, je me lasse  vite. Rien dans les moyens d’enseignement n’a été modifié depuis mes premiers cours en 1962 malgré les réformes des ministres ! Une classe de trente ou vingt-cinq, une salle où sont disposées chaises et tables. Un tableau vert, des bâtons de craie, une heure pour les intéresser au Moyen-âge, ou à la Révolution. Ah ! Un grand changement : le bureau du professeur n’est plus sur une estrade mais à même le sol ! L’estrade c’était mieux pour voir la classe !

J’ai eu des ennuis aussi avec une classe de ces élèves « a-scolaires », que la direction mettait en classe dite de « quatrième ou troisième  technologique ». Rien, ni dans ma formation, ni dans mon expérience ne m’avait préparé à savoir comment, enfermé une heure dans une salle de classe avec une classe rebelle à l’enseignement habituel je pouvais procéder et donner le goût d’apprendre quoi que soit ! Ce fut pour moi un véritable échec et je ne pense pas que ces filles et garçons aient gardé un bon souvenir de leur professeur d’H. et Géo. Cette année-là, j’étais en colère contre une institution, qui contraignait bêtement ce type  d’élèves  à rester des heures et des heures assis, à soi-disant travailler des matières auxquelles ils étaient complètement étrangers ! Ces filles et garçons, auraient eu besoin de grand air, d’activités concrètes pour ouvrir peu-à peu, leur curiosité d’esprit, à l’occasion  desquelles ils auraient découvert l’intérêt des connaissances dites « intellectuelles ». Je pense par exemple que dans la préparation d’un voyage on peut comprendre la nécessité de connaître un peu de …géographie ! J’avais réussi une fois ou l’autre, à les intéresser en classe, à de l’histoire, c’est vrai, mais j’avais aussi remarqué qu’au bout de quinze minutes leur attention était saturée, qu’ils ne pouvaient plus rester assis calmement, sans bouger ni se distraire ! Et encore moins écrire un résumé ou faire un exercice !

En 1996 je demande ma nomination en Haute-Loire ! Nous avons acheté une propriété dans ce département, à 1100 mètres ; notre fils aîné s’y est installé comme éleveur. La maison est assez grande pour accueillir plusieurs unités indépendantes. Nous sautons le pas et décidons de changer de…vie ! En effet, passer de Marseille à une campagne isolée à 1100 mètres, dans une région inconnue, est un vrai bouleversement !

Le ministère me nomme professeur au lycée de Monistrol-sur-Loire, le  dixième et dernier établissement où j’ai enseigné. J’y suis resté cinq ans ! Aucun doute c’est dans ce lycée Léonard de Vinci que j’ai vécu mes plus belles années d’enseignant. Je l’ai déjà écrit dans un autre chapitre, inutile d’y revenir !

27 ans d’enseignement donc dans dix établissements très différents les uns des autres ! Permettez-moi de dire, sans outrecuidance, que j’ai tout de même accumulé une expérience qui m’autorise à avoir un avis éclairé sur la façon dont a fonctionné notre système d’enseignement secondaire en France à la fin du XX° siècle. Je suis sévère au sujet de ce monstre bureaucratique qu’est le ministère de l’Éducation nationale. Mais, hélas, plus j’observe le fonctionnement de l’État en France, plus je constate qu’une bureaucratie paralysante et coûteuse n’est pas le propre de la seule Éducation nationale. Notre haute administration est une bureaucratie aussi, engoncée dans ses procédures, ses doublons, ses petits pouvoirs d’autant plus jalousement gardés qu’ils sont dérisoires ! Et on retrouve cela à tous les niveaux, en-bas comme en-haut,  aussi bien dans l’appareil d’État que celui des collectivités territoriales ! Cela va en s’aggravant. C’est, entre autres choses, ce qui  explique les nombreux cafouillages, exaspérants pour beaucoup, que nous subissons à l’occasion de la crise que nous vivons depuis le début de cette pandémie. Mais c’est un autre sujet !

Revenons à l’enseignement !

Je suis beaucoup moins sévère à propos de l’ensemble du corps enseignant ! Surtout si je pense à ce qu’on apprend sur les différentes autres corporations. Voilà un milieu qui ne connaît pas  la corruption. Un milieu où il n’y a pas de rivalité importante, pas de chocs des ambitions  entre les collègues comme cela existe dans beaucoup de professions. Un milieu où, à ma connaissance, harcèlement, violences sexuelles sont très peu présents. En 27 ans je n’ai pas une seule fois été informé d’un quelconque harcèlement qu’auraient subi des collègues ou, pire, des élèves. Et je n’ai jamais entendu parler du moindre cas de pédophilie. Vous allez peut-être me dire que ces situations étaient soigneusement gardées secrètes. D’accord, mais tout de même, on finit par savoir, des rumeurs se répandent. En 27 ans, pas une fois !  Avez-vous remarqué que depuis le mouvement « #me-too », on n’a jamais entendu que des collègues femmes de lycée ou collège se plaignaient de leurs collègues hommes, portaient plainte ?

L’individualisme des professeurs dans l’exercice de leur métier en classe, s’accompagne d’une grande solidarité lorsque l’un d’entre eux est mis en cause ! Quelquefois il m’est arrivé de penser que la solidarité conduisait à défendre l’indéfendable ! Il n’empêche, la solidarité est une  vraie valeur !

Je l’ai déjà signalé, le corps professoral dans son ensemble, du moins dans l’enseignement classique, est très fermé au monde économique. Celui-ci est vu comme le milieu où règnent l’utilitarisme, le mépris  de la culture littéraire ou historique. Pensons à la réflexion de Sarkozy à propos de la « Princesse de Clèves ». Il ne pouvait pas être plus choquant pour les professeurs que de parler sentencieusement de « l’inutilité » de la lecture de ce roman pour de futures  employées !

L’entreprise est  souvent aussi pour beaucoup, le lieu de l’exploitation des salariés. Et les professeurs y sont particulièrement sensibles parce qu’eux-mêmes pensent qu’ils sont à la fois mal considérés et mal payés. Ils comparent souvent la médiocrité de leur statut social et de leurs  salaires, à la situation du corps médical ou des cadres d’entreprise ! Conscients de l’importance de leur mission ils pensent que l’État, la société en général,  ne les traite pas comme ils devraient l’être !

En définitive, je me suis toujours  senti professeur, un parmi les autres et aujourd’hui, lorsque je remplis la ligne d’un formulaire sur la profession, je suis mécontent d’être contraint de cocher la case « retraité » tout court ! « Retraité », oui, mais « professeur retraité ». Hélas, pas de case ainsi prévue !

Cela ne m’empêche pas de penser que le corps professoral offre une résistance collective regrettable à la nécessité qu’il y aurait de transformer profondément l’exercice de ce métier. De ce point de vue-là, le syndicat le plus important des professeurs, le SNES de la FSU m’apparaît comme une forteresse de conservatisme pour des raisons soit démagogiques soit politiques.

Professeur, oui,  et pourtant je suis très content d’avoir eu l’occasion d’interrompre cette carrière pour exercer quelque temps un autre métier !

Combien d’élèves dont je peux retrouver le visage ou l’allure dans mon souvenir ? Très peu. Une exception pour celle qui est entrée dans ma famille ! A part celle-ci, je suis devenu ami avec trois de mes anciens élèves que j’ai plaisir à revoir chaque fois

Un jour je reçois un coup de fil d’une ancienne élève de terminale du lycée de Monistrol et je reconnais la voix de celle qui avait été la plus pénible et la seule du lycée que j’avais mise une fois à la porte de mon cours, tellement elle s’était rendue insupportable ! Dans ce lycée cela ne m’était jamais arrivé ! J’ai compris ensuite que la vie ne l’avait pas gâtée et qu’elle pouvait avoir parfois des raisons d’être un peu… nerveuse !

Et voilà que quelques années après, Maud me téléphone ! Elle me raconte qu’elle envisage d’aller au Brésil et que dans notre ancien lycée on lui a dit : « Le Brésil ? Va voir Dravet » : ma fille y habite,  j’y suis souvent allé. 

La voilà qui débarque en fin de matinée à la maison ! Gentille, aimable, devenue jeune femme, elle me raconte ses projets et son désir de Brésil très fortement lié à son désir d’un Brésilien qui veut l’emmener chez lui ! Elle s’est installée avec lui à Rio, a eu un enfant et a divorcé ! Mais chaque fois que nous allons au Brésil, nous essayons de nous voir ! Nous restons en lien ! Bref, une amie ! Et au Brésil Maud s’est très bien débrouillée ! Nous nous sommes souvent rencontrés avec elle, et ses ex-beaux-parents nous ont aussi très bien accueillis chez eux ! Je pense toujours à elle avec émotion et amitié !

Quant à Julie, une autre amie,  elle avait laissé tomber sa terminale avant de passer le bac. Comment l’ai-je retrouvée ? Je crois que c’est elle qui a repris contact, je ne sais plus pourquoi. Elle est venue à la maison. Nous avons sympathisé et ma femme aussi avec elle. Elle a eu un enfant. Elle s’est courageusement installée dans la campagne près de Saint Étienne, pour cultiver et vendre des plantes aromatiques. Elle a le courage de certains jeunes, très critiques par rapport à ce que le système des entreprises leur propose et qui prennent des initiatives, originales mais semées d’embûches !  Nous ne nous voyons pas souvent mais nous nous aimons bien. J’espère ne pas la perdre de vue !

L’autre ami est un élève d’origine turque à la fois français et  turc. Il s’est pris d’amitié pour moi, m’a-t-il dit parce qu’une fois, en classe j’avais parlé de l’Islam de façon positive. A quelle occasion, je ne sais plus, j’avais expliqué aux élèves le lien fort qui unit les Musulmans du monde entier ? J’avais dit que pour désigner la communauté des Musulmans, ils emploient le mot « Umma ». Or, leur disais-je, ce mot a comme racine « UM » ou « Oum » qui veut dire « la mère ». Donc le lien qui unit les Musulmans du monde  entier est fort !

Cet élève, Musulman au milieu d’élèves tous d’origine chrétienne,  avait été surpris qu’un professeur parle ainsi positivement de sa religion !

Ce garçon était brillant, actif. Il m’a demandé, une fois ou l’autre, de venir parler de la Turquie à de auditeurs de la maison des jeunes. Nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Nous avons fait venir ses parents chez nous. Il nous a invités à son mariage en Turquie ! Hélas une panne de voiture nous a empêchés d’y arriver ! Il a réussi à devenir ingénieur. Aujourd’hui il est cadre supérieur d’une très grande entreprise et a une belle situation. Nous aimons beaucoup cette famille avec sa femme et ses trois enfants. Il vit et travaille à Istanbul mais m’a promis récemment que la prochaine fois qu’il viendrait en France, il ferait signe ! J’y compte bien. J’aimerais bien aussi avoir son avis sur le cours que Recep Tayep Erdogan donne à la politique de son pays !

Trois amis. Une anecdote maintenant.

 Une fois, au supermarché à Saint Étienne, je croise une jolie jeune femme que je crois connaître. Mais réserve obligée, je ne veux pas, moi, homme déjà âgé,  me trouver dans la situation d’aborder une jeune inconnue ! Nous nous retrouvons à la caisse et c’est elle qui s’adresse à moi avec un grand sourire, mais intimidée, elle rougit un peu. Elle m’a reconnu comme son ancien professeur d’Histoire. Nous avons bavardé un moment, tout heureux de ce hasard, comme si nous étions de vieux amis qui nous aimions  bien ! Elle avait terminé ses études d’infirmières, était en poste au CHU de Saint Étienne, très contente de son sort. J’ai été réellement heureux de revoir dans ces conditions cette élève  qui parlait si positivement de sa vie de jeune adulte. Elle m’avait dit, un peu confuse, qu’elle n’avait pas eu de bonnes notes en Histoire ! Rentré à la maison, j’ai trouvé son nom dans mes vieux carnets de note et vu qu’elle avait une moyenne qui tournait autour de 14 /20 ! Pas si mauvaise ! Je ne l’ai plus jamais rencontrée. Je lui aurais dit qu’elle n’avait pas à avoir honte de ses notes avec moi ! J’avais gardé d’elle le souvenir d’une élève studieuse, très attentive !

A quand la prochaine rencontre ?

A Silhac. Le 19 février  2021.

 

 

Partager cette page
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :