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Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

A vingt ans on se révolte...

Né en 1940 mort après 2020.

Sixième partie. A  1

 

A vingt ans on se révolte, à quarante ans, on explique,

A quatre-vingt ans on se désole et on compare !

Ce sont des formules qu’un ami adorait ! Je les reprends et complète ici de façon à tenter de rendre facilement compréhensible l’évolution de mon attitude par rapport à la société où j’ai vécu, où nous vivons. Mais comme toutes ces formules commodes, elles caricaturent !

Nous connaissons, en effet tous, des jeunes qui, à vingt ans ne se sont jamais révoltés contre la société. D’autres qui proches des soixante sont demeurés des révoltés, en colère ! Cet ami dominicain ajoutait aussi pour le déplorer, « à soixante ans, on justifie » ! Mais dans cette France de rouspéteurs et râleurs qui ne cessent de vilipender les autorités et de se plaindre, à tort ou à raison, rares sont ceux qui à soixante ans justifient sans réserve ! Et puis il y a ceux qui, resteront éternellement des révoltés ou des « en colère » contre  la société où ils vivent ! Je ne m’aventurerai pas ici à tenter d’expliquer les raisons qui les maintiennent ainsi dans cet emportement perpétuel ! Elles dépendent de chacune et chacun d’entre eux. Et pourtant…

 Je crois avoir compris comment il faut compléter la proposition bien connue de Karl Marx. Celui-ci affirmait que notre idéologie est le produit de nos conditions matérielles d’existence. « Ce n'est donc pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est, inversement, leur être social qui détermine leur conscience ». (Karl Marx préface de la Contribution à la critique de l’économie politique, p. 4, Editions sociales, 1947) Et leur être social dépend de leurs conditions matérielles d’existence !

On ne peut en effet nier à quel point nos opinions et pensées diverses sont profondément différentes selon notre place dans la société. Si  nous sommes un ouvrier de Renault qui gagne 1900 € par mois pour ses 35 heures d’affilée avec un treizième mois en fin d’année, adhérent de la CGT, ou si nous sommes une caissière de supermarché, mère seule célibataire, qui doit se contenter de son Smic partiel et de ses 30 h par semaine imposées, avec des journées éclatées en deux ou trois heures le matin et quatre heures en fin d’après-midi, nous ne verrons probablement pas les réalités sociales de la même façon. Et les verra tout autrement le cadre supérieur qui émarge à 7000 € ou 8000 € par mois ! Comme l’a écrit Friedrich Engels : « on pense autrement dans un palais que dans une chaumière. (Friedrich Engels : Ludwig Feuerbach, p. 29.)

Lorsque j’étais, entre 1964 et 1969, maître-auxiliaire dans l’enseignement, avec un unique salaire très modeste, pour une famille où il y avait deux enfants, mais autant sinon plus de travail à accomplir que les professeurs agrégés, en effet, j’avais entre vingt et trente ans. C’est l’époque où j’étais un farouche adversaire du capitalisme et rêvais à – militais pour- une société de socialisme libre et égalitaire ! Alors qu’est-ce qui déterminait mes opinions, mon âge ou mes conditions matérielles ? En même temps, comme ma vie privée me satisfaisait, que je ne me sentais pas mal dans ma peau, je n’étais  pas un « révolté » ni « en colère » ! Seulement quelqu’un en quête de plus de justice et moins  d’inégalité !

Compléter Karl Marx c’est ajouter que les conditions matérielles d’existence n’épuisent pas la divergence, parfois l’opposition, des regards portés sur ce monde où nous vivons et ses rapports sociaux. Comptent à mes yeux grandement, ce qu’on peut appeler les conditions psycho-sociales dont sont tissées nos vies : notre vie de couple, si couple il y a, notre vie de parents, si enfants il y a, notre vie culturelle, nos loisirs, notre santé psychologique, notre vie spirituelle, bien des facteurs autres que strictement matériels vont déterminer la façon dont nous nous sentons dans cette société et dont nous la jugeons ! C’est pour moi une évidence !

Alors ? A quatre-vingt ans ? J’ai écrit « on est désolé » et « on compare » !

Désolé ? Oui ! Il y a près de soixante ans maintenant je croyais à l’avènement de cette société meilleure, moins dure aux pauvres, plus fraternelle ! Et je pensais même pouvoir, à la place que j’occupais,  contribuer à la faire advenir ! Attention ! Je n’avais pas l’illusion que cela arriverait vite ! Mais j’avais d’autres naïvetés.

Soixante ans après, je suis bien obligé de constater que le monde ne s’est pas transformé comme je le croyais et qu’au contraire, sous bien des aspects, il y a des aggravations, des reculs, même des menaces sur les immenses progrès qui avaient été accomplis. Et que ces progrès charriaient aussi avec eux bien des nuisances et des atteintes graves à l’environnement. Mais j’avais cru en ce que mes amis prêtres et ceux des quartiers Nord de Marseille, avec certains auteurs avaient dit ou écrit : les gens du peuple, ouvriers ou employés, tenus à l’écart de la richesse, les « gens de peu », conservaient en eux des valeurs de solidarité, de partage, de fraternité, pas encore viciées par la richesse et la recherche du profit ! Je croyais, en conséquence, que ces classes populaires recélaient en elle, ce qui aurait pu être le ferment d’un monde meilleur non encore corrompu  par la recherche effrénée de l’argent et du pouvoir !

Avais-je tort ? Oui et non. Ces amis se fourvoyaient-ils complètement ? Je ne le crois pas. Je continue à penser que ceux qui n’ont rien ou si peu, qui subissent des conditions matérielles dures, les vrais « prolétaires », les « humiliés et offensés » pour reprendre le titre de Dostoïevski, sont souvent plus enclins que les autres  à partager et ont un sens de la solidarité plus spontané ! Pourquoi ?

Parce qu’ils savent que leur sort dépend de ceux qui, à côté d’eux, vivent les mêmes conditions, les mêmes humiliations, les mêmes privations, la même précarité. Ils vivent les mêmes rythmes à l’usine, ou ailleurs, subissent les mêmes petits chefs à l’atelier ou  au bureau, les mêmes difficultés, sont les uns et les autres rivés au même machines, soumis  aux mêmes épuisements en fin de journée et aux mêmes angoisses des fins de mois ! Et ils savent qu’un simple petit ou grand événement peut soudain les plonger dans le drame : maladie, accident, licenciement, veuvage, aussitôt il leur faut trouver les moyens de faire face, moyens qu’ils n’ont pas ! Ils pourront alors compter sur la solidarité de leurs compagnons de précarité, de misère ! Ceux-là, sont comme eux, quand leur tour viendra d’avoir besoin des autres, on saura leur manifester la solidarité dont on a bénéficié. Ce n’est pas le résultat de calcul mais la conséquence du partage des mêmes vies difficiles de ceux qui n’ont aucune autre perspective devant eux que la continuation sans fin de la vie qui est la leur !

Cette solidarité est condition de survie ! Celui qui veut s’en affranchir sera un  « mouton noir » minoritaire, mal vu, à l’écart !

De plus, cette vision un peu idéalisée des « pauvres » correspondait à ce que ces amis prêtres présentaient comme les vraies valeurs évangéliques : Que dit en effet l’Évangile dans les Béatitudes ?  «  Bienheureux les pauvres »,  « bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice ».

Que chante Marie, la mère de Jésus dans le Magnificat ?

« Mon âme exalte le Seigneur…

…Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.

Il comble de biens les affamés,
renvoie les riches les mains vides. »

 

Il y avait dans ces convictions de mes vingt ans, la recherche apparemment pure et innocente d’une fraternité universelle dont les « pauvres » seraient un peu les ferments, la promesse, sinon même les prophètes.

A Marseille, tout le monde sait qu’il y a La Canebière ! Cette belle avenue qui depuis la grande Eglise des Réformés mène son flot de promeneurs jusque sur les quais du Vieux-Port !

Mais les « estrangers » ignorent souvent que cette Canebière est une véritable frontière de classe ! Au nord, les quartiers du port de marchandise, des grues, des entrepôts, de la gare, des usines, des grandes cités HLM. Pendant longtemps les députés et conseillers municipaux élus y étaient  communistes. Au sud, les beaux quartiers, la Corniche en bord de mer avec ses anses et ses petites plages, les beaux immeubles, la Préfecture, les grands parcs et les avenues majestueuses, les belles rues commerçantes.

Je suis né et ai toujours été élevé dans ces beaux quartiers. Mais dans mes vingt ans, au Sud de Marseille, pour moi, c’était le fief des bourgeois, des riches, à mes yeux de tous ces « gens bien » indifférents à la pauvreté, aux misères de ceux des quartiers nord ! Et dans cette nomenclature géographique simpliste, les « bons », les victimes, étaient au Nord, les exploiteurs, les « mauvais » au Sud !

Ainsi à vingt ans, au nom d’une certaine idéologie, et d’une certaine Foi, je trahis : mes amis seront ceux du Nord ! Je traverse la Canebière !

Las ! Que de naïveté ! Que d’illusions ! Quelle que fût la part de vérité morale, quasi spirituelle de cette foi en une certaine « innocence » des pauvres, je  devais me heurter évidemment à de dures réalités, plus prosaïques. Comme l’écrit Soljenitsyne dans l’Archipel du Goulag : « peu-à-peu j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal, ne sépare ni les classes, ni les partis, mais qu’elle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité ».

Ce fut une longue marche !

En arpenterez-vous les chemins avec moi ?

Henricles. Le 02 février 2021

 

 

 

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