29 Avril 2018
Avec l’immigration.
Par François Héran
(Professeur au Collège de France)
327 pages. Éditions La Découverte. Mars 2017
Avant de lire ce livre, écoutez sur votre ordinateur ou sur France-culture, la leçon inaugurale de François Héran, au Collège de France, prononcée le 5 avril 2018. (https://college-de-france.fr)
Vous serez convaincus comme je l’ai été : voici un de ces intellectuels dont notre pays peut être fier. Il éclaire avec beaucoup de maîtrise, la question de l’immigration, en France certes, mais aussi ailleurs. Il parle de ce sujet, propice à toutes les polémiques, avec la sereine objectivité que donne la vraie connaissance scientifique d’une question, résultat à la fois, d’une méthode rigoureuse, exigeante pour le chercheur qui se l’impose, et d’un travail approfondi.
Vous aurez peut-être alors envie de lire cet ouvrage cité en titre. Mais ici ce n’est pas une leçon inaugurale et F. Héran s’y autorise des propos très durs qui n’auraient pas eu leur place dans sa leçon du Collège de France ! Vous serez peut-être surpris, en effet, de sa sévérité lorsqu’il cite L’ancien président Sarkozy, le Front National et sa patronne, le polémiste Éric Zemmour ou autres ! Il les fustige, non pour des raisons partisanes, mais tout simplement parce que ces gens-là, à propos de l’immigration, ont dit et répété tellement de sottises que le chercheur se doit de dénoncer des discours trompeurs qui font injure à la vérité.
Rassurez-vous, François Héran n’écrit pas un pamphlet contre la droite ou l’extrême-droite parce qu’il serait « de gauche » ou favorable à « des frontières ouvertes à tout-va à l’immigration massive » ! C’est le livre d’un chercheur qui n’a qu’un but : éclairer le public, les citoyens quels qu’ils soient. C’est une mine de renseignements sur la réalité de l’immigration dans notre pays.
François Héran montre que si on compte les immigrés nés à l’étranger mais installés en France depuis au moins un an et les Français issus d’au moins un parent immigré, la France compte environ 20 % de gens d’origine « immigrée ». « Plus d’un habitant de la France sur cinq est immigré ou enfant d’au moins un immigré » (page 17). Et il insiste fortement pour dire que la question n’est pas d’être pour ou contre l’immigration mais tout simplement de la considérer comme une donnée de la société française qu’on ne peut ni supprimer ni arrêter.
Il nous dit aussi que depuis une quinzaine d’années, quelle que soit la majorité politique au pouvoir, l’immigration de personnes non européennes en France est, annuellement, au nombre d’environ 200 000. Et cette immigration est, rappelle-t-il, tout simplement une immigration « de droit » ! C’est-à-dire que pour la supprimer ou ralentir drastiquement, il faudrait « déchirer » nombre de conventions internationales signées par la France, réécrire la Constitution, la Déclaration universelle des Droits humains, et renier les engagements juridiques les plus solennels !
Ces gens entrent en France et s’y installent parce qu’ils en ont le droit ! Et ce droit ne leur a pas été concédé, en catimini par je ne sais quelle majorité de gauche ou d’une droite complaisante, mais est le résultat d’une tradition de conformité de notre pays aux principes d’une société qui se veut respectueuse des droits et de la dignité des hommes quelle que soit leur origine.
Au détour de ses pages, le professeur nous invite aussi à réfléchir à la complexité de tous les problèmes liés à l’immigration, problèmes qui ne peuvent jamais être traités par des formules à l’emporte-pièce et encore moins par les « yaka » des populistes et autres extrémistes.
Après cette lecture, vous serez éclairés, par exemple, comme vous ne l’avez jamais été sur la fameuse « fausse question », selon lui, « du Droit du sol ou du Droit du sang. Et F. Héran nous montre qu’on est Français ou le devient ou par le « sang » ou par le « sol » soi-disant mais en fait essentiellement par le « temps » comme il écrit. C’est-à-dire que pour être Français il faut, de fait, avoir une certaine familiarité avec le pays. On l’a lorsqu’on est descendant direct de parents français quel que soit le lieu où on est né (sang !). On l’a, à la majorité, lorsqu’on est né en France de parents étrangers à condition d’y avoir vécu au moins cinq ans et d’y résider lorsqu’à dix-huit ans on demande à être reconnu comme Français (sol !). Et tous les autres cas d’acquisition de la nationalité proviennent d’une « familiarité » avec notre pays, par exemple si on a épousé un conjoint français.
Ce petit livre est une grande leçon sur la méthode rigoureuse, sérieuse, sur le travail de recherche persévérant et parfois ardu qu’il faut pratiquer pour parvenir à une connaissance vraie des réalités sociales. Ainsi le chercheur peut-il éclairer les choix des décideurs qui peuvent s’appuyer non sur des a-priori idéologiques, non sur des émotions, mais sur des faits dûment établis.
Après cette lecture, grâce à F. Héran, vous vous sentirez plus intelligents et serez peut-être plus prudents lorsque vous proférerez tel ou tel jugement dans un sens ou un autre.
Mais François Héran ne décide ni ne choisit, du moins dans ce livre : il cherche à éclairer le Citoyen qui choisit tout autant que le Politique qui décide.
Sans connaissance éclairée, il n’y a pas de démocratie, il n’y a que démagogie ou le règne de « l’opinion publique » prétendument connue des politiciens par les sondages simplificateurs !
Henricles. A Silhac le 29 avril 2018