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Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Économie du bonheur

(A propos du livre de Claudia Senik. L’économie du bonheur. 125 p. Paris. 2014. Seuil)

N’est-elle pas vaine cette prétention des économistes à examiner et trouver les lois d’une économie de ce qui serait le bonheur, notre bonheur ? N’est-elle pas même teintée d’outrecuidance alors que les impératifs économiques, les exigences de l’économie, les crises que ces messieurs-dames économistes semblent ne savoir ni éviter, ni prévoir, ni guérir forment plutôt obstacle à notre bonheur ?

La tentation est vive alors de les apostropher et leur dire : laissez-nous s’il vous plaît nous occuper nous-mêmes de notre bonheur et ne prétendez pas venir l’ausculter et nous en découvrir les lois !

Nous aurions bien tort de céder à cette tentation. La lecture du petit livre dense, clair, pédagogique de la professeure d’Économie de Paris-Sorbonne est certes austère mais apporte beaucoup d’informations et réflexions tout à fait intéressantes. Voilà de quoi, en effet, éclairer nos choix si nous sommes des citoyens actifs, c’est-à-dire si nous faisons partie de ceux qui ne se sont pas encore résignés au « désordre établi » ni repliés frileusement sur la seule sphère privée de leur vie ou qui, tout simplement en ont l’énergie et la disponibilité suffisantes.

Contre l’avis de ceux qui prônent la décroissance ou dénigrent la croissance, Claudia Senik montre que le bonheur ressenti n’augmenterait pas mais au contraire aurait tendance à diminuer en cas de décroissance.

Elle nous dit que la plupart des enquêtes sur « la satisfaction » ou « le bonheur » éprouvés indiquent que celui-ci dépend de notre comparaison avec nos voisins ou proches ; dépend aussi de nos perspectives sur le futur (plus nous espérons d’amélioration de notre sort ou du sort de la société où nous vivons, plus nous nous déclarons, aujourd’hui, satisfaits).

Le recul de niveau de vie, la régression, sont des facteurs puissants d’insatisfaction. Voilà pourquoi, entre autres raisons, explique-t-elle, la décroissance s’opposerait à l’augmentation du bonheur. Voilà pourquoi aussi les chômeurs se déclarent presque toujours moins satisfaits que les salariés. Claudia Senik n’en fait pas la remarque, mais cela prouve une fois encore, s’il en était besoin, que ceux qui critiquent les chômeurs en disant qu’ils préfèrent leur état de chômeur à une situation de travail se trompent lourdement et stigmatisent une majorité à cause d’une petite minorité !

La jalousie, la comparaison avec le niveau de vie de ceux qui nous entourent, jouent un rôle déterminant dans le bonheur que nous éprouvons plus ou moins. Il vaut la peine de citer le résultat de l’expérience mentale suivante. On propose à des sujets le choix entre deux hypothèses. En A votre revenu annuel sera de 50 000 € et les autres de votre entourage gagneront 25 000 €. En B, vous gagnez 100 000 € mais les autres gagnent 200 000 €. La majorité des sujets choisit l’option A ! Cette expérience montre que ce qui compte le plus pour la majorité n’est pas le niveau de vie en tant que tel mais la position qu’on occupe par rapport aux autres !

Les choses se passent de la même façon dans les pays à faible ou très faible revenu et dans les pays riches. Et la grande majorité des individus se comparent à ceux qui sont au-dessus d’eux en termes de niveau de vie.

A propos de nous Français, les enquêtes, toutes, montrent ce qu’en caricaturant j’appellerais notre aversion au bonheur. A niveau de vie égal ce sont les Français qui se disent toujours les moins satisfaits de leur sort. Seuls les Portugais en Europe sont plus pessimistes mais eux ont un niveau de vie très inférieur ! Cette constatation de la professeure d’économie, rejoint tout ce qu’on sait sur notre société. Le taux de suicide pour 100 000 habitants est plus fort chez nous qu’ailleurs et la consommation de psychotropes est une des plus élevées en Europe ! Bref notre déprime est collective ! Déprime collective d’un peuple français qui vit dans un des plus riches et plus beaux pays du monde, où les pauvres sont proportionnellement moins nombreux que chez nos voisins proches, allemands, anglais ou italiens, grâce à un système de protection sociale que la Droite dure n’a pas encore réussi à démanteler ! D’après les statistiques européennes, le taux de pauvreté en France, était en 2013 de 13,7% mais de 19,1% en Italie, 16,1% en Allemagne, 15,9 % au Royaume-Uni ![i]

Le moment est maintenant venu d’interpeller madame Senik et de regretter des manques, des insuffisances dans sa réflexion qui peuvent invalider ou atténuer certaines de ses conclusions.

Madame Senik parle tout au long de son livre de la « croissance » de façon abstraite. Comme si la croissance avait été, était, serait en tous temps et en tous lieux la même croissance économique. Certes, mesurée par le PIB, la mesure même, monétaire, homogénéise, mais tout de même. Lorsque la croissance était d’abord progression de la production agricole et industrielle, ce n’était pas la même croissance que celle d’aujourd’hui qui est surtout production de services marchands ou non marchands. Le tableau ci-dessous est éclairant à ce sujet. Le même mot, « croissance », recouvre-t-il la même réalité vécue en 1959 et en 2013 ? Non bien sûr !

Répartition PIB en %

1959

2013

Agriculture

11,1

2

industrie

55,3

19

services

33,6

79

total

100

100

Ensuite, personne ne dit qu’on ne pourrait pas modifier le paradigme de la croissance et faire des choix qui privilégient tel type de croissance plutôt que tel autre. Ainsi une croissance fondée sur la priorité aux énergies renouvelables, à l’agriculture de proximité et respectueuse de la qualité naturelle, une croissance qui privilégierait les transports en commun, les services de proximité, les investissements dans l’éducation et la santé contribuerait probablement différemment au bonheur éprouvé que la croissance militaro-industrielle, financière et commerciale, dominante aujourd’hui au niveau mondial.

Ensuite Claudia Senik ne parle pas des conséquences négatives de la croissance sauf à se contenter de citer de façon générale « la pollution ». Et pourtant. Il, y a la pollution de l’air qui a des conséquences graves sur notre santé. Mais aussi la pollution de l’eau qui en plus de menacer la santé, empêche de se baigner tranquillement dans bien des rivières et sur bien des plages. Il y a les embouteillages quotidiens et monstrueux où tant et tant gaspillent en essence partie de ce qu’ils ont gagné et consument des heures de « non travail ». Ce ne sont que des exemples : Il y a bien d’autres « externalités négatives » de la croissance qu’elle passe sous silence et qui ont des conséquences sur le bonheur éprouvé !

Bref, voilà un livre à lire parce qu’il est riche d’informations et madame Senik nous donne à penser, ce qui est important.

En forme de conclusion : et si par hasard, grandir collectivement en humanité signifiait tout simplement ne pas chercher notre bonheur dans la comparaison avec les autres, ne pas vouloir à tout prix gagner autant ou plus que les voisins ? Et si par hasard notre dignité de femmes et d’hommes, pleinement humains ne résidait pas dans notre capacité à être satisfaits de ce que nous avons même si nos voisins ont plus que nous ?

Et si nous nous habituions à comparer notre niveau de vie avec celui de ceux qui ont moins que nous et qui sont légions plutôt qu’avec ceux qui gagnent plus, n’atteindrions-nous pas ainsi plus facilement une sorte de bonheur ?

Henricles 11 novembre 2014

[i] En Europe le taux de pauvreté est ainsi défini : on calcule en pourcentage de la population totale, ceux qui ont un revenu inférieur à 60 % du revenu médian, c’est-à-dire le revenu qui sépare les 50% qui gagnent plus des 50% qui gagnent moins. En France en 2013 le revenu médian était de 1745 € mensuels. La moitié gagnait plus et la moitié moins. Sont considérés comme « pauvres » par Eurostat, ceux qui recevaient moins de 60% de ce revenu soit moins de 104,70 € mensuels ! Attention, Il s’agit de population totale donc dans un couple cela veut dire 2* 104,70 = 209,40 ! Et dans une famille de 4 personnes, 418,80 € ! C’est vraiment peu, très peu !

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M
"e commentaire! Cela me troublait...alors j'ai pris ma calculette et j'ai trouvé que 60% du revenu médian correspondent à 1047 Euros...et non à 104,7 Euros. Où est l'erreur?
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H
Hélas c'est moi qui ai fait une erreur ! Vous avez corrigé, merci ! Je vais tout vérifier et écrire une note complémentaire si besoins est ! Quel étourdi j'ai été ! Pardon !
M
Qu'est-ce que le bonheur?<br /> Pour moi, cela n'a rien à voir avec l'économie!<br /> Quant à la &quot;croissance&quot;, elle a atteint un tel stade de dangerosité dans notre société occidentale qu'on ne peut la prôner comme instrument de progrès!<br /> Amicalement.
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