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Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Brésil 2013. Un mouvement spontané et inattendu

La première fois que je suis allé au Brésil, en 1989, j’ai entendu les Brésiliens parler des politiciens « tous corrompus » ! Depuis, j’y suis retourné plus de 10 ou 12 fois, je ne les compte plus, pour des séjours de 15 jours, de plusieurs semaines ou mois. Je suis allé dans presque toutes les régions de cet immense pays, j’y ai rencontré de très nombreux Brésiliens de tous milieux et j’ai toujours entendu le même discours sur les politiciens ou le « governo » comme ils disent au lieu de dire l’État comme nous : « todos corruptos », tous corrompus. Pire encore. J’ai cherché à me documenter et à lire des articles sérieux sur le système politique, à aller au-delà des informations données par la grande presse quotidienne ou les magazines grand public. Et ce que j’ai trouvé est accablant. Une des personnalités publiques les plus respectées n’a pas eu peur de dire ce que vous pouvez lire ci-dessous : un problème est central et est la cause de tous les autres : l’État brésilien ne joue pas le rôle qui universellement appartient à l’État. D’où la cruelle inégalité sociale, la corruption et la criminalité. L’État brésilien se consacre aux jeux des partis, aux alliances et intérêts des politiciens et néglige d’accomplir sa fonction première qui est de répondre à l’intérêt public » (Voir article du blog intitulé « journal du Brésil 2006 I)

J’ai conclu de tout cela que la « corruption » et le « clientélisme » ne sont pas le résultat d’abus, de détournements, de déviances, qu’on pourrait modifier, corriger, sanctionner voire chercher à supprimer. Corruption et clientélisme sont au cœur d’un système qui fonctionne ainsi depuis les origines.

Le Brésil est un pays fédéral où les gouverneurs d’État et les assemblées de ces États, les maires des municipalités (qu’ils appellent « préfets ») et les élus municipaux ont des pouvoirs considérables. D’autre part le système électoral est tel que la présidente du pays doit toujours négocier avec une coalition de partis qui ont évidemment leurs exigences. Enfin, la constitution votée en 1988 après la fin de la dictature, a, par peur d’un exécutif trop fort, limité considérablement les marges de manœuvre du pouvoir central enfermé dans un corset de multiples règles à valeur constitutionnelle !

Il y a un réseau de plusieurs milliers de politiciens élus et de très hauts fonctionnaires – vrais dirigeants politiques, eux aussi, à côté des élus – qui représentent d’abord leurs propres intérêts de politiciens et ceux des lobbies qui les financent ou font élire (industriels ; banquiers ; grands propriétaires ; Transporteurs routiers ; pétroliers ; groupes de pression religieux puissants etc. Et ces gens-là font aussi partie de ce réseau qui leur permet de défendre d’abord leurs intérêts). Ces politiciens et très hauts fonctionnaires, se sont arrogé en toute légalité, des privilèges exorbitants au regard desquels nos députés et directeurs de ministères en France paraissent bien modestes ! Et pourtant ! Et c’est ce réseau qui a tissé sa toile sur tout le pays, dans toutes les régions et constitue ce système de corruption et clientélisme. Et partout dans les États de la fédération, les politiciens « arrosent » les uns et les autres, assurent des prébendes diverses et « achètent » ainsi les voix de leurs électeurs. Et les décisions de grands travaux comme l’attribution des « marchés publics » sont déterminés d’abord par les intérêts des membres de cette toile d’araignée géante ! Toile d’araignée géante ou filet dense de sangsues qui sucent le sang…de la population

Le revenu moyen des habitants de Brasília est, de très loin, beaucoup plus élevé que n’importe où ailleurs au Brésil. Or, à Brasília vivent surtout les très hauts fonctionnaires, des banquiers et les politiciens !

L’argent public est donc d’abord dépensé en fonction de ce système et pour en assurer le maintien. Puisqu’il garantit privilèges et richesse aux membres du réseau, à leurs complices et affidés.

Pas étonnant alors que le système de santé ouvert au peuple, que l’enseignement public primaire et secondaire, que les infrastructures de transport urbain et interurbains soient indignes d’un grand pays ! Pas étonnant que le Brésil connaisse une grave pénurie de main d’œuvre qualifiée dans bien des domaines et cherche à « importer » des médecins et dentistes de Cuba ou ailleurs ! ( Voir articles du blog du 04 12 2011 : le Brésil de Lula ou de Marina et du 07 01 2009 : Brésil géant du XXI° siècle)

C’est contre tout cela qu’une partie des Brésiliens vient de protester fortement et massivement dans les grandes villes du pays. Ils viennent ainsi de crier qu’ils ne voulaient plus de cela ! Qu’ils n’avaient pas confiance dans leurs politiciens et exigeaient des changements profonds et qu’ils voulaient que l’argent public aille à la santé, à l’éducation et aux transports publics et non dans les poches des corrompus !

Lorsque Dilma la présidente, surprise comme tout le monde par la spontanéité inattendue du mouvement, un peu dépassée, propose un referendum pour une réforme politique profonde, elle n’en précise pas le contenu, mais elle choisit bien et sait fort bien quels sont les obstacles qu’elle rencontre en tant que présidente pour mener son pays vers une meilleure situation ! Hélas elle semble avoir perdu, au moins pour le moment, la confiance de ses concitoyens. Il n’empêche, un referendum serait la voie vraiment efficace, un premier pas au moins dans le bon sens, pour contourner les politiciens sur lesquels il est vain de compter pour changer le système dénoncé par les manifestants : ils ne vont pas scier les branches sur lesquelles ils sont si confortablement installés, par une réforme d’un système politique qui leur ferait perdre une part de leurs privilèges ! Et qui, de fait, profite à des dizaines de milliers de gens !

Personne ne s’attendait à ce mouvement de protestation si massif. Personne ne l’a organisé ni dirigé. Aucun parti, aucune organisation syndicale ou politique. C’est là sa force et sa faiblesse.

Que deviendra-t-il ? On peut être à peu près certain que ce mouvement va peu à peu s’effilocher au fil du temps. Il n’y a quasiment pas de chance qu’il se renforce et réussisse à imposer des changements rapides et drastiques. Faute d’organisation et de formation politique capable de le canaliser, diriger et d’élaborer une stratégie à moyen terme. Une force politique nouvelle peut se mettre en place à partir de ces manifestations pour tenter d’inscrire dans la durée ces protestations populaires et élaborer une vraie stratégie politique. Mais les Brésiliens sont-ils prêts à accorder leur confiance à un mouvement politique, même nouveau ? Seul l’avenir nous le dira et l’auteur de ces lignes ne lit pas dans le marc de café.

Mais les politiciens devront tenir compte de cette poussée de fièvre citoyenne. Ils ne pourront pas continuer exactement « comme avant ». Parce que les groupes de citoyens qui se sont mobilisés là avec tant de conviction et de détermination, de responsabilité seront prêts à recommencer !

Partis et groupes politiques, organisations syndicales, autres organisations engagées dans la citoyenneté, sauront-elles comprendre l’importance de l’ère Internet où nous sommes entrés, des réseaux sociaux, des volontés de démocratie directe, des exigence de contrôle des citoyens sur l’action de leurs élus, de la volonté forte d’avoir des satisfactions rapides aux revendications et du refus de toujours se soumettre, toujours subir ?

Dilma réussira-t-elle à mettre le pays sur la voie de la nécessaire réforme profonde du système ?

Rien n’est moins sûr. Mais la vague soudaine de ces protestations est gage d’un espoir pour le futur proche du peuple brésilien.

Dernière remarque : soyons vigilants chez nous et ne laissons pas nos politiciens installer en France un système de corruption de type brésilien ! On en est loin encore mais ne serions-nous pas déjà un peu sur ce chemin ? La question est légitime lorsqu’on constate toutes les « affaires » qui sortent en justice les unes après les autres !

Henricles. 4 juillet 2013

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L
Merci pour cet article passionnant et cette analyse tristement intéressante. Je vais lire les autres articles a l'occasion. À bientôt Aline
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