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Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Trente et unième partie : Une passion.

Né en 1940 mort après 2020

 

Trente et unième partie

Une passion

 

 « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie ».

C’est la célèbre phrase introductive du roman de Paul Nizan (1905 / 1940) « Aden Arabie ».L’année de mes vingt ans, cette année de désespérance, de souffrance égocentrique et vaine, combien de fois me suis-je répété cette phrase?

Elle, - appelons-là Mireille ici – il n’y avait qu’elle, Mireille, elle occupait toutes mes pensées, mes nuits d’insomnie, toutes mes journées à chercher où et comment la retrouver, à me demander ce qu’elle faisait, surtout avec qui elle passait son temps ! Obsession maladive qui dressait son mur épais, inébranlable, infranchissable devant toute autre activité, toute autre préoccupation qui auraient pu me distraire d’elle, au moins un moment !  

Nous étions à Aix et mon seul répit, bref, arrivait lorsqu’elle rentrait chez elle à Nice  où elle avait toujours vécu. Aix n’était que sa ville universitaire. Je savais que là-bas, elle me l’avait raconté,  Mireille retrouvait son « amant » : en effet, malgré sa jeunesse, à moins de 20 ans, elle était devenue la « maîtresse » d’un homme marié qui l’attendait avec impatience. J’emploie ces mots « amant » « maîtresse » qui maintenant sont le plus souvent remplacés par d’autres mots plus gentils, des euphémismes, comme copain ou compagnon, mais à l’époque on parlait comme cela. D’ailleurs dans le cas de Mireille elle ne partageait pas du tout son pain avec son ami  (« copain » et « compagnon » disent le partage du pain), elle partageait peut-être le cœur et sûrement le lit !

Mais elle ne partait que pour de courts week-ends ! Et dès qu’elle était revenue, le mauvais mélodrame recommençait : des heures d’attente à guetter à l’entrée de la rue où elle habitait, plus ou moins dissimulé, et lorsqu’elle sortait je m’approchais vite et la rencontrais, soi-disant par hasard : « Tiens !  Toi ici, mais où allais-tu ? » !

Nous l’avions appelée « génocide » vu que tous les étudiants qui la connaissaient en tombaient amoureux ! Quant à moi, c’est dans sa chambre d’étudiante qu’’un après-midi, allez savoir comment, un grand ami et moi nous sommes retrouvés l’un et l’autre étendus sur son lit chacun d’un côté d’elle !  Vers lequel de nous deux se tournait-elle, se tournerait-elle ?

Non rassurez-vous, le récit ne sera pas ce que vous pourriez imaginer ! Nous étions trois et quel que fût celui de nous deux qui ait pu être le veinard, cela ne dura pas, elle ne tarda pas à nous inviter à rentrer chez nous l’un et l’autre, ensemble ! Et ce partage de sa couche ne dura pas suffisamment pour que j’aie matière à vous raconter des choses croustillantes, voire indécentes. Il ne se passa rien ! Ce jour-là, mon ami qui savait ma passion accepta de bon gré qu’elle tournât son visage vers le mien ! Ce soir-là ce fut ma malchance :  j’étais donc  le « veinard » ce qui, évidemment ouvrit devant moi l’horizon d’un avenir tout proche, déjà amorcé grâce à ce visage tourné vers le mien, où je m’imaginais que nous allions vivre, elle et moi, ce grand amour auquel j’aspirais, amour qui l’éloignerait de cette liaison niçoise fort coupable ! Illusion entretenue  par des amis, largement adultes, très moralistes, bien intentionnés, affligés de m’avoir vu traîner lamentablement, qui me dirent : «  oui, Henri tu peux la sauver » !

Si elle avait su, elle en aurait bien ri ! Elle n’était pas de ce monde des moralisateurs  prompts à voir le Mal, le péché mortel, dans les liaisons amoureuses qui sortent des chemins réguliers. Je ne veux pas dire ici que j’encouragerais les aventures hors mariage, lesquels souvent, à un moment ou un autre, entraînent souffrances, parfois ruptures douloureuses. Là n’est pas la question. Mais cette Mireille aurait-elle dû être condamnée aux feux de l’enfer à cause d’une liaison dont nous ne connaissions rien, aurait-elle eu besoin d’un « sauveur », en l’occurrence, un jeune un peu immature, déséquilibré par une passion qu’il ne maîtrisait pas ? Sauveur, celui qui, à ce moment-là, était incapable de se débarrasser lui-même de cette souffrance toute égocentrique ?

Génocide ! Elle portait bien son surnom. Et pourtant pas une seule fois nous n’avons eu l’idée qu’elle aurait pu être une « fille facile », une « dévergondée » qui se serait amusée à « faire marcher » les mecs, pas une fois. Parce que ce genre de qualificatif d’origine très masculine est attribué à des femmes dont  les hommes sont très contents de profiter quand ils le souhaitent et qu’ensuite ils condamnent pour cela même dont ils ont été bien contents de jouir. Hypocrisie « machiste » multi séculaire ! Et je crois que nous avions raison. Elle était ce qu’elle était et les libertés qu’elle prenait dans les liens qu’elle nouait avec tel ou tel et plus d’un, restaient dans de sages limites et aucun d’entre nous n’a eu réellement avec elle les rapports amoureux complets auxquels tous aspiraient ! Malgré les apparences, elle restait globalement fidèle à son amant niçois ! Et peut-être avait-elle cherché en nous le jeune homme solide et rassurant qu’elle aurait pu aimer réellement ! Aucun d’entre nous n’a été, à ce moment-là, cet homme dont elle aurait eu peut-être besoin !

Et Mireille fut l’occasion de ma première cuite carabinée, chez moi, chez mes parents ! Ce jour-là j’étais particulièrement désespéré, je croyais l’avoir perdue définitivement et j’ai alors noyé ce désespoir dans le vin ! A la fin du déjeuner, je suis allé m’étendre tout habillé, j’ai vomi tant que j’ai pu en gémissant, pleurant comme un enfant : « Mireille ! Mireille ! Mireille ! » Devant mes parents décontenancés, émus, qui ne savaient comment m’aider. J’entends encore mon père chercher à me rassurer et me parler d’une passion qu’il avait subie lui aussi longtemps auparavant !

En tous cas cette passion a duré toute une année universitaire. Les copains étudiants, autour de moi, voyaient bien mon mauvais état. Il faut dire que l’obsession était telle que je négligeais toutes les autres étudiantes. Aucune n’avait à mes yeux le moindre charme, pour aucune je ne ressentais la moindre attirance ! Je me rappelle cette fois où une étudiante réputée pour sa séduction, sa liberté, sinon son libertinage, m’avait attiré chez elle. Allongés tous les deux sur son lit, elle m’a cuisiné pour savoir ce qui m’arrivait. Séductrice, désirable, offerte, je n’avais ce soir-là, vraiment aucune envie de céder à ses avances, aucune ! Je crois même que je n’avais pas fait attention à l’incongruité de cette situation où une jeune femme m’avait ainsi conduit jusque sur son lit ! Tout ce qu’elle avait obtenu de moi ce jour-là fut que je lui avoue cette  passion destructrice que je vivais ! Sympa, elle ne m’en a apparemment pas voulu d’avoir complètement négligé ses attraits ! Mais je crois qu’après ces aveux et ce récit, plus ou moins extorqués, toute l’Aix étudiante était au courant de mon  amour malheureux !

Mireille comme mes copains et moi, était militante en faveur de la lutte des Algériens pour leur indépendance. C’est comme cela que nous nous étions rencontrés. Un jour que nous remontions le cours Mirabeau, à trois, sa cousine, Mireille et moi qui la tenait pas la main, elle aperçut un homme jeune qui arrivait en face ! Ni une ni deux, sans aucune explication, elle courut vers lui : « Miloud ! Miloud ! », se jeta dans ses bras et alla aussitôt s’asseoir dans un bar avec lui sans se préoccuper une demi-seconde ni de sa cousine ni de ma main, soudain abandonnée, qui pendait  tristement au bout de mon bras ! Ce Miloud était un Algérien qu’elle avait connu je ne sais où ni quand. Sa cousine me regarda avec surprise et compassion…Ce jour-là mes amours avec Mireille subirent une nouvelle déconvenue !

Les semaines et les mois passaient.

Dans « Un amour de Swann », Proust décrit longuement ces moments où une passion amoureuse toujours vive, commence à approcher de la fin. L’amoureux malheureux devine que bientôt viendra le temps où il pensera à cette femme sans l’émotion qui l’étreint toujours et toujours. Il sait que cela arrivera, il y aspire, mais ce savoir tout rationnel cohabite avec cette passion non encore éteinte.

Et fin d’année universitaire, j’en étais à ce moment-là.

C’est alors qu’un ami prêtre, très proche, m’annonce l’arrivée prochaine à Marseille début juillet, pour plusieurs semaines d’une jeune fille seule dont il me parle avec une telle chaleur, un tel  enthousiasme, que je me surprends à penser avec intérêt à cette belle inconnue. De toute façon fin juin Mireille repartira à Nice et pour de longues semaines, mon amour ne l’a hélas pas convaincue comme je l’avais cru une fois ou l’autre ! En ce mois de juin, je ne m’en suis pas encore consolé.

J’avais complètement gâché mon année d’étudiant. Après une première année où j’avais réussi à la fois la première année de la fac de lettres, qui s’appelait « propédeutique » et la première année de Sciences po, je m’étais inscrit en licence d’histoire et continuait Sciences po. Cette deuxième année, cette « année Mireille » je n’ai rien fait, rien présenté, je n’ai assisté qu’à quelques rares cours et me suis retrouvé en juin, honteusement, un soi-disant « étudiant » qui n’avait pas « étudié » !

J’ai admiré alors l’indulgence de mes parents qui m’avaient encore à charge. Ils ne m’ont jamais fait le moindre reproche !

Et lorsqu’au début du mois de juillet, le jour même de mon anniversaire, la jeune lyonnaise arriva, ce fut le coup de foudre libérateur ! Quelques jours après, la jolie Renée aux longs cheveux blonds, aux yeux bleus, au visage fin, innocent et pur devenait la femme de ma vie !

Du coup en juillet et août j’ai travaillé de façon à présenter tout de même un certificat d’histoire à la session de septembre ! Ouf ! Grâce à l’ange descendu des  grisailles lyonnaises je n’avais pas tout raté.

Épilogue.

Deux ans après,  Renée et moi sommes mariés. Mon salaire, alors notre seul revenu, ne nous permet pas d’avoir d’autre véhicule qu’une mobylette. Un soir nous décidons d’aller au cinéma sur la Canebière, c’est très loin de notre appartement. Renée monte sur le porte bagage de la mob mais bien avant d’arriver au centre, sur l’avenue du Prado, par crainte de la police, elle descend, prend un tram et nous nous retrouvons à l’entrée du cinéma. Après la séance nous décidons qu’elle reprendra un tram jusqu’au milieu de l’avenue du Prado où je la rejoindrai en mobylette pour rentrer chez nous.

A peine est-elle partie pour prendre le tram que j’aperçois en face de moi, devinez qui ? La fameuse Mireille, cette Mireille qui était, de fait, depuis plus de deux ans, sortie et de ma vie et surtout de mes pensées, mais pas de ma mémoire ! Heureux de nous revoir après tant de temps nous bavardons, bavardons ! L’heure tourne ! Et soudain je me rends compte que depuis peut-être un bon moment Renée poireaute sur le trottoir en attendant son homme ! Horreur, mari indigne ! Ces trottoirs étaient à cette époque régulièrement empruntés, le soir, par des femmes qui y faisaient les cent pas en guettant les éventuels clients de passage !

Je quitte mon amie, fonce avec ma mob et retrouve Renée, tout de même un peu émue : ses longs cheveux blonds avaient déjà attiré plusieurs clients potentiels ! Soulagée de mon arrivée, dans sa bonté, elle ne m’a pas tenu rigueur de ce retard ! Et je lui ai bien sûr raconté ma méprise, parce qu’il y eut méprise en effet !

En fait, l’amie que j’avais rencontrée à la sortie du cinéma n’était pas du tout cette Mireille, ce n’était pas elle, mais une autre étudiante que j’avais prise pour elle !

« Une Passion » ai-je écrit en titre !

Henricles le 29 août 2021

 

 

 

 

 

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