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Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Septième partie : socialisme. Les mots et les faits

Né en 1940, mort après 2020

Septième partie A

Socialisme.  Les mots et les faits

On n’accède pas à la sagesse rapidement d’autant moins que, si on comprend assez vite que la Révolution tant espérée est une chimère, cela ne signifie pas qu’on a pris son parti du « désordre établi » ! Pendant de longues années encore je vais vivre avec la préoccupation ancrée au cœur et à l’esprit, qu’il est nécessaire de tenter de réduire sinon supprimer, les injustices et les graves manques de notre société.

Un élément a joué un rôle important pour calmer mes ardeurs révolutionnaires. La fréquentation des divers militants de la « Révolution », m’a vite montré que ceux-là n’étaient pas particulièrement plus généreux, ni plus fiables, ni plus accueillants aux autres, ni plus respectueux de la dignité de chacune et chacun que les autres citoyens. Et leur âpreté au gain, leur besoin d’avoir de l’argent, à peu près les mêmes que ceux du commun des mortels ! Il y avait chez eux souvent ce décalage, malheureusement très courant, entre les convictions affirmées et les pratiques ! Je savais depuis longtemps que dans les milieux cathos pratiquants, le « Aimez-vous les uns les autres » de l’Évangile, proclamé par tout un chacun n’empêchait pas hélas les jalousies, les conflits violents, les rivalités de pouvoir, les mesquineries et crispations sur ses biens et ses prérogatives ! Et je constatais, chez les gens de gauche, que l’idée du communisme, c’est-à-dire de la mise en commun pour un partage égal en fonction d’abord du travail accompli et ensuite des besoins, était certes l’horizon à atteindre qui justifiait la lutte contre le capitalisme, mais en attendant, on cherchait égoïstement à réussir, à vivre le mieux possible, dans le confort et la tranquillité ! Le partage avec les prolétaires, viendrait après la révolution et l’instauration de la société sans classe ! D’ailleurs eu égard à la richesse des « capitalistes », on pensait que dans la société pour laquelle on se battait, la « libération des forces productives » permise par la révolution, s’accompagnerait d’un mieux vivre pour tout le monde ! Tout le monde gagnerait à la révolution !

Entre septembre 1964 et juin 1966, le temps de deux années scolaires nous vivons en Algérie pour accomplir mes obligations militaires, comme professeur  en coopération. La première année en appartement à Alger, la deuxième,  logés chez les pères Blancs à Maison –Carrée où j’enseignais.

Entre 1964 et le 19 juin 1965, c’est la présidence de Ben Bella ! C’est la période où le pouvoir algérien prétend construire une société socialiste ! Une grande réforme agraire a transformé les anciennes propriétés des colons en fermes collectives sur le modèle des kolkhozes en URSS. Pour le commerce, on a créé les MPS, soit, les « Magasins Pilotes Socialistes » comme exemple d’un commerce de distribution au service du peuple et non du profit !

C’est l’échec ! Les coopératives agricoles mal gérées, ne produisent pas efficacement, la production agricole de l’Algérie s’effondre. Quant aux MPS, le plus souvent leurs rayons sont vides. La réponse la plus fréquente des  fonctionnaires qui y travaillent, lorsqu’on cherche à acheter est « ça manque ! » Les employés, tous des hommes, se comportent comme des salariés sans initiatives.

Quant aux dirigeants du pays, les ministres et hauts fonctionnaires de Ben Bella, ils ont établi leurs logements et bureaux dans les beaux quartiers autrefois occupés par les riches colons. Et ils ont à leur disposition de magnifiques voitures BMW achetées bien sûr sur les deniers d’un État…pauvre ! Bref, le socialisme d’accord, soit la pénurie pour le peuple mais les beaux logements et les belles voitures pour les dirigeants ! Ah ! Le socialisme inspiré de l’URSS !

Je me rappelle une soirée mondaine à laquelle des amis qui étaient dans les petits papiers de Ben Bella, alors président, nous avaient invités ma femme et moi ! Il n’y avait que trois femmes, trois Françaises. Notre hôtesse, française qui avait été avocate de Ben Bella en France, que je connaissais très bien depuis longtemps, une autre jeune femme invitée je ne sais plus pourquoi et ma femme, à l’époque, jolie jeune femme de 23 ans, aux yeux bleus, aux  longs cheveux blonds qui tombaient jusque sous les hanches ! Sur sa robe noire cela faisait le plus bel effet !

Ce soir-là,  bien sûr, le whisky coulait à flot ! Et les verres de chacun se remplissaient !

Tous ces « révolutionnaires » algériens, soi-disant socialistes, s’étaient bien gardés de venir avec leurs épouses, bien évidemment cloitrées chez elle.

 Je me rappelle que nous avons quitté cette soirée assez vite.

Première expérience du socialisme. Je me souviens aussi de mon étonnement à mon arrivée en Algérie ! J’apprends que l’ensemble des professeurs algériens du secondaire, de cette Algérie misérable, où la majorité des habitants est très pauvre et où la faim ou l’insuffisance alimentaire concernent une grande partie du peuple, bénéficient des mêmes vacances que les professeurs en France, et sont tenus aux mêmes obligations horaires ! J’en suis scandalisé : naïvement, je croyais qu’un pouvoir socialiste, demanderait à ses professeurs, en nombre dramatiquement insuffisant, déjà privilégiés d’avoir un emploi, de travailler tout de même plus que le corps enseignant de France, un des pays les plus riches du monde ! Et il en était de même de tous les fonctionnaires du jeune État algérien : ils bénéficiaient des horaires, congés et conditions de travail des fonctionnaires du temps de l’Algérie française !

Ah ! Le socialisme ! Quelle hypocrisie  à mes yeux dans cette Algérie de 1964 !

Le 19 juin 1965, au réveil, nous entendons à la radio des chants patriotiques ! Comme tous les matins, je prends ma mobylette pour parcourir les quinze kilomètres qui me séparent de l’Internat où j’enseigne. Je dois rouler pendant  environ 10 kms sur la « route moutonnière » comme on disait alors, celle qui relie l’aéroport à Alger, la principale entrée de la ville ! Que vois-je alors ? Des chars d’assaut, tourelle ouverte où siègent des soldats armés ! Je crois savoir qu’on tourne un film sur la guerre d’Algérie ! Mais tout de même, des soldats en arme c’est bizarre ! Je passe sans encombre : les soldats ne s’inquiètent pas de ce jeune homme sur sa mobylette. Arrivé à  l’internat, je suis bombardé de questions par les pères blancs et les autres, déjà fort étonnés que j’aie pu parvenir là sans difficulté !

Bref, ce jour-là c’est le coup d’État du colonel Boumediene. Il a pris le pouvoir avec l’Armée ! Ils avaient arrêté et enfermé Ben Bella ! Ainsi commençait ce régime militaire qui a imposé sa dictature sur l’Algérie pendant des années ! Pour de nombreux observateurs, ce 19 juin était un « Thermidor », c’est-à-dire la fin d’un régime révolutionnaire favorable au peuple et le début d’une réaction des privilégiés contre le socialisme ! Cette expression date, du 9 Thermidor An II (27 juillet 1794) où, en France, les conventionnels ont mis fin au pouvoir de Robespierre et engagé ce que l’on appelle la « réaction thermidorienne » !

Comme nous l’avons dit plus haut, le socialisme de Ben Bella n’était pas exempt de chasses gardées pour les privilégiés du régime, mais après le 19 juin 1965, l’Armée a imposé son joug sur le pays et les militaires ont accaparé directement ou indirectement les principales richesses du pays ! Je crois qu’en 2021 lorsque j’écris cela, c’est toujours comme ça !

Les manifestations courageuses, en 2019 et 2020, de nombreuses Algériennes et Algériens ont été réprimées et peu-à-peu les responsables sont arrêtés. Jusqu’à maintenant ils n’ont pas obtenu grand’chose. Ils veulent la démocratie, les libertés, et surtout des mesures efficaces pour mieux répartir les richesses ! Hélas, les militaires n’ont aucunement l’intention de renoncer à leurs privilèges ! L’exemple de ce qui est arrivé en Égypte après la révolution qui a renversé le dictateur Moubarak, n’incite pas à l’optimisme ! Le général Sissi l’a remplacé. Un dictateur remplace un dictateur et les hauts et moyens gradés de l’Armée conservent leurs prébendes ! Il faudrait une détermination persévérante, de citoyens capables de devenir des leaders, des stratèges politiques, reconnus par le peuple des manifestants. Il faudrait aussi, hélas que soient prêts à mourir sous les balles des soldats, à souffrir dans les sinistres geôles de l’armée des Algériennes et Algériens très nombreux ! Tant il est vrai qu’une dictature ne se résigne à perdre le pouvoir qu’après avoir durement et durablement organisé une répression sauvage et constaté son échec !

Avant de  revenir sur le récit de mon  passé, j’en profite pour proclamer  ici mon admiration éperdue pour tous ces manifestants, qui osent, en Algérie comme en Russie, en Biélorussie comme en Inde ou en Iran affronter quasiment à mains nues les forces de répression de dictateurs cyniques et sinistres !

Ce soir-là du 19 juin 1965, chez des amis, dans le quartier très populaire de Bab El Oued, il y eut quelques manifestations contre le coup d’État et en faveur de Ben Bella, mais peu importantes. Je me rappelle qu’une amie voulait que j’aille manifester avec elle ! Imaginez ! Un Français, qui plus est en service militaire, aller manifester en Algérie ! Je n’ai pas eu de peine à lui faire comprendre que je n’avais pas à me mêler des affaires des Algériens entre eux !

En fait, nonobstant quelques manifestations sporadiques, le régime de Boumediene s’est installé sans vraie résistance dans la population : signe que ce « socialisme » de Ben Bella n’était pas ressenti profondément par le peuple algérien comme un système vraiment au service du peuple !

Quand en juin 1966 nous rentrons en France, à Marseille, mes opinions sur le « socialisme » sont très nuancées ! J’ai compris que derrière les proclamations, les mots, il y a les réalités ! Et qu’instaurer un socialisme, soit une société plus égalitaire, libre et démocratique, était tout,  sauf simple !  Et qu’il fallait se méfier des déclarations enflammées simplificatrices !

Aussi, lorsqu’en mai 68, de très nombreux militants prétendent qu’il faut se référer au marxisme, soit le marxisme de type soviétique, soit le marxisme chinois, plus authentique selon ses partisans, soit encore le marxisme tel que le préconisait Trotski, bref, toutes les diverses déclinaisons de cette idéologie, qu’ils présentent comme une science,  je suis très  réticent et même démobilisé ! Je me demande pourquoi les militants négligent complètement tout l’apport théorique du courant du socialisme français des Saint-Simon,  Proudhon, Fourier, Pierre Leroux et autres !

Mais il faut dire que dans ces années-là, la gauche française était largement dominée par un puissant Parti Communiste (PCF)  inféodé à l’URSS, malgré ses dénégations et un syndicat CGT dont les dirigeants étaient quasiment tous également parmi les dirigeants du PCF et suivaient la ligne de ce parti ! Ils ne voyaient pas de socialisme en dehors du seul modèle de l’URSS !

Me  voilà politiquement bien désemparé !

J’ai bien essayé de rejoindre le PSU de Michel Rocard.  Il était venu à Marseille, et son discours m’avait intéressé. Malheureusement, à Marseille, les rares militants du PSU étaient des marxistes, scandalisés parce que j’avais dit un jour que je n’étais pas marxiste ! Nous étions quatre chats dans ce PSU marseillais et au lieu de consacrer leur énergie à le développer, sous un prétexte ridicule, ils m’ont, un jour, convoqué, avec un ami,  devant ce qu’ils appelaient pompeusement la « commission des conflits ». Je trouvais cela tellement ridicule que je ne voulais pas y aller et comptais laisser tomber ce groupuscule marseillais n’en déplaise à Michel Rocard ! Finalement mon ami m’a convaincu d’y aller. Pour lui faire plaisir j’ai alors entendu ces révolutionnaires de pacotilles, plus sérieux que des papes dans leur rôle autoproclamé  de « commissaires politiques », me voter un blâme ou une chose de ce genre.

J’ai accueilli leur sentence avec la moquerie amusée qu’elle méritait. Ainsi s’est terminée ma participation au mouvement de Michel Rocard et mon adhésion à un parti politique ! Cela avait duré quelques semaines je crois !

Mon ami, lui, a évolué peu-à-peu vers je ne sais plus quel groupe d’extrême-gauche ! Il s’est fait embaucher quelque temps comme ouvrier, de façon à être immergé dans cette classe ouvrière destinée à faire advenir la société sans classe ! Lui pensait qu’ouvrier parmi les ouvriers, il réussirait probablement à développer auprès des camarades de l’usine où il travaillait leur conscience révolutionnaire. Quelques années après, il a  repris son emploi de formateur en école d’éducateur ! Mais il demeurait partisan de la gauche la plus extrême !

Lorsque je reviens sur ce passé et ces choix, ces préoccupations et que je pense à mes petits-enfants, à toute cette génération qui a aujourd’hui entre 18 et 30 ans, j’ai l’impression d’avoir parlé d’une autre planète ! C’était il y a cinquante ans !

Oui, mais lorsque j’avais 20 ans, cinquante ans auparavant, c’était 1910, soit « la belle époque », avant la guerre de 14 /18 ! Un autre monde tellement lointain, étrange, étranger !

Henricles. A Silhac le 10 février 2021.

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