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Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Huitième partie. Lucidité prémonitoire mais incomplète !

Né en 1940 et mort après 2020

C’était dans les années 80. J’avais été chargé d’’enseigner les rudiments de l’économie à un groupe d’une quarantaine de cadres, techniciens et employés de services approvisionnements de leurs entreprises. Ils étaient en formation continue. On m’avait demandé d’être le plus concret possible, le moins théorique. Cela tombait bien parce que je n’avais pas étudié l’économie à l’université et n’avais donc pas le bagage qui m’aurait conduit à des développements abstraits. Je m’étais initié à l’économie réelle, avec des auteurs comme Fourastié, Sauvy, Lesourne et quelques autres. Je m’étais longuement plongé aussi dans les publications de l’INSEE et de revues consacrées aux questions à la fois sociales et économiques, telles que « problèmes économiques », « Esprit » « Projet », « futuribles » et d’autres encore. J’avais aussi tout de même étudié des manuels écrits par des économistes. En effet en 1967 ou 1968, le ministère de l’Éducation nationale avait créé pour les seconds cycles de lycée général l’option économique et sociale, dite option « B » mais il n’y  avait pas de professeur pour l’enseigner. On avait demandé des professeurs d’Histoire et géographie volontaires et j’avais été l’un d’eux. Si bien que depuis des années j’avais préparé des élèves de terminales au bac « B », bac général économique !

Alors, devant mes auditeurs de Lyon,  il m’a fallu, inévitablement, aborder la question du PNB, du PIB et parler des différents agrégats utilisés pour mesurer la croissance, le niveau de vie moyen et les comparaisons entre différents pays.

Mes réflexions personnelles et mon expérience concrète, m’avaient déjà permis de comprendre dans ma vie quotidienne, que ces agrégats utilisés pour parler des niveaux de vie et de la croissance, étaient discutables, incomplets.

En effet, là où j’avais habité avec mes enfants tout petits, nous avions souffert  des bruits fatigants, usants, d’une circulation automobile dense, des embouteillages permanents lorsque nous emmenions les enfants jouer dans des parcs, de l’absence de lieu où nous aurions pu aller à pied pour les faire courir et jouer dans le calme, de l’absence d’espaces verts, des distances qu’on devait parcourir en voiture pour atteindre  la campagne, c’est-à-dire la nature, les arbres, les plantes, les lieux de libre vagabondage et de jeu ! Nous mesurions ainsi tous les jours que la croissance du niveau de vie montrée par  les statisticiens ne tenait pas du tout compte de ce que j’appelle les « nuisances », c’est-à-dire les « externalités négatives » de la croissance pour reprendre le langage des économistes, soit la dégradation de la qualité de la vie qui accompagnait, en ville  l’augmentation de la richesse moyenne affichée !   

Or, depuis 1975 je connaissais l’essentiel du contenu du fameux rapport Meadows du MIT (Massachussetts Institut of Technology) sur les limites de la croissance et avais suivi avec intérêt la campagne présidentielle de René Dumont en 1974 !

J’avais eu alors l’idée de présenter à mes auditeurs de Lyon un tableau en deux colonnes. A gauche il y avait toutes les richesses réelles, tous les progrès concrets et incontestables que nous apportait la croissance du niveau de vie.

En effet, seuls des gens qui ne sont pas au courant des pénuries des périodes d’avant le XX° siècle en Europe occidentale, qui ne savent pas ce qu’était l’extrême rigueur, la dure pauvreté de la vie des peuples avant la révolution industrielle, peuvent nier les immenses progrès accomplis pour améliorer la vie des gens. Parfois leur hargne contre le système les rend aveugles et sourds aux preuves qu’on leur montre. Et pourtant les simples données sur l’évolution depuis trois siècles de l’espérance de vie et de la durée moyenne de la vie devraient suffire à les convaincre ! Progrès médicaux, confort intérieur, chauffage efficace, alimentation variée et abondante, vêtements de qualité, confortables et agréables, enseignement gratuit etc…

Dans la colonne de droite je faisais apparaître  les nuisances les « externalités négatives » tels que pollution atmosphérique, pollutions sonores, lumineuses, temps passé dans les embouteillages, besoin de se déplacer parfois loin, donc de façon coûteuse pour simplement se promener tranquillement dans la nature etc…Et il était facile de montrer que plus on était de condition modeste, plus il était difficile d’échapper aux  « nuisances ». 

J’avais aussi, c’était facile, montré que lorsqu’il y avait un accident grave de la circulation, cela faisait augmenter le PIB parce que cela donnait du travail aux ambulances, gendarmes, dépanneurs, réparateurs de voiture, éventuellement médecins et chirurgiens mais qu’on ne comptait jamais la perte de richesse liée à la destruction de véhicule, ni à la souffrance des blessés ni à la perte des heures gaspillées à cause de l’accident !

Dans ces années 75 / 80 du vingtième siècle, la croissance ralentissait, le chômage devenait chômage de masse mais le niveau de vie mesuré par les statistiques restait plutôt  croissant en moyenne.

Devant mes auditeurs, je me devais d’approfondir la réflexion.

 Certains sites industriels doivent être parfois abandonnés ou reconvertis. Il faut donc avant de les utiliser à autre chose,  les dépolluer. C’était vrai dans ces années-là et c’est toujours vrai aujourd’hui. Dépolluer un site industriel, coûte très cher, demande l’utilisation de produits, matériels et personnels spécialisés coûteux ! Prenons ici un seul exemple. En 1995, le coût de la dépollution du terrain occupé aujourd’hui par le Stade de France a été de 60 millions de francs ! Ces travaux ont été réalisés par des entreprises. En conséquence leur activité a été comptabilisée normalement comme une création de richesse – le site est redevenu utilisable alors qu’il ne l’était plus auparavant – mais lorsque ces terrains avaient été gravement et durablement pollués, étaient donc passés de terrains « propres » à terrains  « contaminés » personne n’avait déduit de la richesse nationale la contamination de ces terrains ! C’est-à-dire que le PIB augmente mais on ne le diminue jamais dans les calculs, des « externalités négatives » produites et coûteuses ! Or, soit il faudra travailler pour les supprimer, soit ces externalités viennent gâcher la vie des citoyens donc diminuent leur « niveau de vie » ! 

En conséquence j’avais proposé à mes auditeurs de modifier le calcul de la richesse nationale produite ! On additionnait la « valeur ajoutée » de tous les biens et services produits, soit une somme « R 1 » mais on en déduisait le coût de toutes les externalités négatives produites qui appauvrissent. Ce coût était noté « R 2 ». Et la vraie richesse nette était donc  « R =  R1 – R2 » !

Comme je ne suis pas le moins du monde statisticien, il m’avait suffi de ces réflexions pour permettre à mes auditeurs de mieux comprendre les phénomènes de l’économie réelle. De plus je sais que le calcul des externalités négatives serait très compliqué !

C’était dans les années 75 / 80 du siècle précédent ! Rares étaient ceux, à cette époque, qui remettaient en cause notre mode de développement industriel. René Dumont avait eu à la présidentielle de 1974 un score ridicule de 1,3 % moins que la fameuse trotskiste Arlette Laguiller qui avait réussi à convaincre 2,3 % des électeurs ! Déjà des penseurs comme Jacques Ellul, avaient depuis longtemps remis en question le bienfait du mode de développement industriel. Mais ils étaient peu nombreux et rares étaient ceux qui les connaissaient. Moi-même, sinon les ignorais, du moins ne les avais pas étudiés sérieusement. Je pensais que malgré les « nuisances », la croissance économique était souhaitable et nous menait vers une amélioration de la vie des citoyens. Et je  disais comme tout le monde qu’il fallait espérer que les pays dits du « Tiers –Monde » entrent enfin dans ce cycle de croissance. Sans être béat devant ce mythe, je croyais sincèrement que les bénéfices du développement dépassaient largement ses inconvénients.

Même les auteurs du rapport Meadows  publié en 1971, ne prônaient d’ailleurs pas la croissance zéro. Ils s’étaient contentés de montrer que les ressources de la biosphère exigeaient selon eux, à la fois un ralentissement de la croissance démographique et une modération de la croissance économique. Ce que nous appellerions aujourd’hui, la « sobriété heureuse ».

Je dois avouer que dans ces cours à Lyon  comme au lycée, je n’avais pas insisté sur ces limites de la croissance même si j’en avais parlé, notamment à propos de la pêche : plus on pêche, moins il y a de poissons faciles à capturer, plus il faut améliorer les techniques de pêche, plus on peut en prendre  et donc moins il y a de  poissons ! Si on ne fixe pas des limites aux quantités pêchées arrive le jour où le prélèvement est supérieur au rythme de renouvellement naturel des poissons !

Le GIEC, groupe international d’étude du climat a été fondé en 1988 mais pendant des années, ses conclusions sont restée confidentielles. J’avoue que encore dans les années 96 / 98 moi-même, devant mes élèves de seconde, émettais des doutes sur les causes anthropiques du réchauffement climatique. Pourquoi ? Parce que formé à l’Histoire, je savais que les fluctuations climatiques importantes en faisaient partie, bien avant que l’humanité puisse avoir la moindre influence sur les phénomènes atmosphériques. Ce n’est qu’à partir des débuts du XXI° siècle que j’ai, comme la plupart des gens sensés, compris que les bouleversements climatiques et, à terme, le réchauffement, étaient la conséquence certaine de notre mode de développement industriel.  

A partir de ce moment, la question n’est pas de savoir si la croissance doit continuer et se généraliser au monde entier selon le mode qui a prévalu en Occident. La question est double. D’une part réussirons-nous à ralentir le rythme alarmant du réchauffement climatique grâce à une modération drastique de nos émissions de gaz à effet de serre ? D’autre part comment passer de ce mode de croissance  industrielle  dangereux et insoutenable, à un mode de développement compatible avec la rareté de certaines  ressources et avec le nécessaire ralentissement de toutes nos atteintes à l’environnement ? Étant entendu que dans les pays du Tiers-monde, une croissance est nécessaire pour permettre à des millions d’individus de sortir de la misère !

Comment nous convaincre de la nécessité quasi absolue d’une « sobriété heureuse » ? Certains pensent que c’est déjà trop tard et que la catastrophe est devant nous, inéluctable. Ils sont nombreux, ont des arguments solides.

D’autres, dont je fais partie, ne croient pas à cette inéluctabilité. La plus récente étude approfondie de Météo-France, évoque trois scénarios (Le Monde du 02 02 2021). Elle affirme que pour les deux ou trois prochaines décennies, le futur est déjà écrit : le réchauffement climatique va continuer. Mais par contre si entre 2050 et 2100 on diminue fortement les émissions de GES, comme on a largement commencé à le faire en France, alors on parviendra à limiter le réchauffement climatique à 1° ! Dans ce scénario, pas de difficulté importante ! En Europe et en France, la prise de conscience est telle qu’il n’y a pas de raison pour que ce scénario ne soit pas atteint ! De plus, les experts qui travaillent sur les conséquences économiques du réchauffement, rappellent qu’il est impossible trente ou quarante ans avant de prédire ce qui va se passer(Le Monde du 10 02 2021). Et même si on n’y réussit pas, une augmentation de la température moyenne aurait en 2100 et ensuite des conséquences graves mais pas en même temps ni partout. Prenons un seul exemple. La hausse du niveau des mers menacerait des régions côtières peuplées. Or Les Hollandais ont prouvé depuis des siècles qu’ils maîtrisaient les moyens de se protéger de la mer et d’habiter des terres au-dessous du niveau de la mer ! Ce que je veux dire ici est que l’humanité a des ressources d’imagination, d’innovation, de mobilisation collective telles qu’elle saura trouver des solutions. Certes les plus faibles, les plus pauvres subiront plus que les autres. Cyniquement je dirai que dans l’histoire de l’Humanité cela a presque toujours été ainsi ! On peut rêver, mais riches et puissants ont toujours su mieux se protéger ! Pourquoi cela ne se reproduirait-il pas ? On doit agir pour  un sursaut démocratique mondial, c’est sûr, mais quant à parier dessus…

Aujourd’hui, d’ailleurs en ce début de XXI° siècle, il y a d’un côté les quelques pays riches où on vit à peu près  bien. Paix et libertés d’abord, puis Logement, nourriture, soins de santé, scolarité, loisirs. Et la majorité des pays où seule une minorité accède au niveau de vie qui assure une vie quotidienne digne. La grande masse de la population dans ces pays est très loin de notre confort de vie ! Est-ce pour rien qu’ils sont des milliers à aspirer émigrer chez nous et les plus hardis, à risquer leur vie pour rejoindre nos pays ?

Il y aura peut-être – ce n’est pas certain- des catastrophes en certains lieux, pour certaines populations, mais au XX° siècle, nos guerres et totalitarismes ont provoqué en moins d’un siècle plus de 90 millions de morts (deux guerres mondiales ; nazisme ; communisme soviétique ; communisme chinois) ! Non ! Rien ne prouve encore que le 22 ° siècle sera pire !

Henricles. A Silhac. Le 15 février 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

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S
toujours aussi intéressant à lire.
Répondre
M
Un souffle frais d'optimisme ! Revigorant.
Répondre
H
Merci