6 Août 2019
Lorsque j’enseignais encore au lycée, à la fin du XX° siècle et au début du XXI°, j’avais coutume d’expliquer à mes élèves que la « mondialisation » pouvait se dire aussi « américanisation » tant les USA réussissaient à répandre partout dans le monde leurs films, leurs héros, leurs produits et services, leur monnaie, leurs normes et standards divers et finalement leur mode de vie, leur culture.
Depuis, cela s’est aggravé. Les GAFA, et autres Microsoft, Dell, Uber et Airbnb, tous américains, dominent un monde de plus en plus numérique où tous les géants sont américains, pensent américain, diffusent l’idéologie américaine, récoltent les milliards de dollars américains. Seule la Chine a été capable de donner naissance à de très grandes entreprises du numérique mais malgré ses progrès rapides, celle-ci a encore des décennies de retard sur les USA qui s’efforcent de maintenir leur avance. Et l’armée américaine, présente sur tous les continents, sur tous les océans, tous les cieux, a un budget qui lui garantit une domination sans partage sur le monde pour longtemps. Les dirigeants américains y veillent.
Dans un article du journal « le Monde » des 28 / 29 juillet, le célèbre écrivain –voyageur Sylvain Tesson, déplore fortement l’uniformisation du monde : « la mondialisation historique a sa chronologie : industrialisation, massification accélération, hypertrophie …uniformisation des comportements, des modes de pensée, des formes urbaines, des paysages et des moyens de communication…Le digital est le doigt d’honneur de la technologie à la variété des cultures humaines … indifférenciation, fin du chatoiement, effacement de la mosaïque, règne de l’Unique, reproduction du même. Appelons cela la « starbuckisation du monde. »
Il a en partie raison ! Il nous suffit de regarder ces zones commerciales en France où quelle que soit la ville parcourue, on trouve toujours les mêmes enseignes, à Lille ou Montpellier, Toulon ou Bordeaux. Oui, la mondialisation nous met partout face aux mêmes écrans d’ordinateurs américains et les Espagnols comme les Brésiliens, les Japonais et les autres utilisent de façon aussi compulsive ici ou là les mêmes smartphones, publient leurs photos sur le même Instagram et dressent tous leurs téléphones au bout de leurs bras pour réussir les mêmes « Selfies » !
Et la mondialisation a mis en concurrence des millions de modestes et petits producteurs avec des multinationales puissantes capables de conquérir les marchés et condamner paysans d’Afrique, d’Asie du Sud, ouvriers et employés d’Europe à s’entasser dans les bidonvilles d’immenses mégalopoles ou à émigrer ! Ou s’inscrire à tous les « pôles-emploi » qu’ils trouvent
La mondialisation renforce les plus puissants, enrichit les plus riches qui accaparent un pourcentage toujours plus élevé des richesses du monde.
Nous le savons, on ne reviendra pas au temps du protectionnisme et le repliement sur nos « prés carrés » à l’abri de nos barrières douanières n’est possible que dans l’imagination à courte vue de certains démagogues ou la propagande mensongère de dangereux extrémistes. Ce qui,- attention ! - ne veut pas dire qu’on doit accepter la Loi du néo-libéralisme mondialisé et qu’il ne serait pas possible, dans une Europe vraiment unie et forte, de nous protéger, et d’en protéger d’autres avec nous, de l’avidité des multinationales, américaines ou non et de la domination sans partage de la sphère financière ! Ainsi il est évident qu’il serait nécessaire, par exemple, au moins en zone Euro et mieux encore, dans l’Europe unie, de limiter la liberté totale des mouvements de capitaux !
Alors faut-il accuser la mondialisation de tous les maux et n’en voir que ses conséquences néfastes exposées ci-dessus ?
Regardons les choses à l’échelle de l’Histoire, de la longue histoire de l’Humanité ! Elargissons nos esprits et ne restons pas obnubilés par les phénomènes les plus graves, les plus difficiles à vivre pour beaucoup et sachons regarder le monde sous toutes ses faces.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Humanité, nous, habitants de la terre sommes rassemblés en une seule humanité consciente de l’unité de l’espèce, plus proches les uns des autres que nous ne l’avons jamais été.
En quelques heures on va d’un point à un autre du globe. En quelques clics, on entre en dialogue, on voit ou entend de chez soi, tranquillement ses amis ou parents éloignés. Les visioconférences permettent de travailler en équipe sans se déplacer avec des collaborateurs de New-Delhi, Lisbonne ou Marseille. Nous somme tous les jours informés de milliers d’événements divers qui arrivent dans n’importe quelle partie du monde. Seuls les Chinois et quelques rares autres peuples, victimes de régimes totalitaires ne peuvent pleinement bénéficier de cela !
Tout cela est bien connu. Inutile de développer. Il n’empêche, je ne résiste pas au rappel ci-dessous. Lorsqu’en 1987 notre fille passait un an au Brésil, le téléphone était si cher qu’on ne lui téléphonait jamais ! Nous nous écrivions par la Poste mais au Brésil, hélas, le courrier postal n’arrivait pas avec la rapidité et la sécurité que la Poste assurait encore chez nous,- à cette époque ! Aujourd’hui, lorsque nous souhaitons lui parler, à Brasília où elle vit, nous l’appelons sur Facebook ou Whats’app, convenons d’un rendez-vous et on se voit, on s’entend, on parle aussi longtemps qu’on veut. Certes on ne peut s’embrasser mais lorsqu’elle veut nous envoyer un texte qu’elle a écrit, en quelques clics il est arrivé, nous l’avons reçu et elle, malgré cet envoi, l’a gardé dans son ordinateur ! Toute chose qui était impossible avant Internet !
Mais il n’y a pas que cela. Les chercheurs du monde entier dans tous les domaines de la science, des sciences, se réunissent régulièrement dans des congrès continentaux ou mondiaux, publient dans des revues disponibles pour tout le monde ! Jamais dans l’histoire, il n’y a eu tant d’échanges, par milliers donc d’enrichissement mutuel ! Cela entraîne diverses conséquences heureuses. D’une part ces échanges mondiaux et fréquents ont permis des progrès dans les connaissances scientifiques jamais obtenus auparavant. Pensons par exemple au domaine de la santé ! Une autre conséquence est aussi la rencontre de gens venus d’horizon très divers, qui après avoir travaillé, réfléchi, discuté, mangé, passé des soirées ensemble, ne formeraient plus ces troupeaux dociles que les fauteurs de guerre et les généraux envoyaient se battre les uns contre les autres, manipulés par une propagande nationaliste et haineuse.
On a raison de se plaindre de certains aspects du commerce international mondialisé qui conduisent à des aberrations dont je ne donnerai ici qu’un exemple : on va manger chez nous de la viande importée de Nouvelle-Zélande, du bout du monde, tandis que des éleveurs d’ici n’arrivent pas à vivre de leur travail à cause de cette concurrence. Et on pourrait ainsi multiplier ce type d’exemple.
Mais n’oublions pas que le commerce international est aussi un très puissant facteur de paix. Les produits sont souvent le résultat de l’assemblage ici de multiples pièces et éléments fabriqués là, en Chine, en Allemagne, au Brésil ou au Bangladesh, et en Égypte et pour les mettre à disposition des clients, il faut du transport par bateau, train ou camion. En conséquence par ce commerce international nous sommes tous, de fait, solidaires et une guerre qui éclaterait, par exemple dans le Golfe Persique entre Arabes et Iraniens, serait catastrophique non seulement pour eux mais pour des millions, des dizaines de millions de gens à cause de la rupture des chaînes d’approvisionnement. Les grandes et moyennes puissances, malgré leurs armées coûteuses n’ont aucun intérêt à se faire la guerre : sans même parler du feu nucléaire, apocalyptique, un affrontement militaire entre Chinois, Américains, Russes, Britanniques, japonais, Allemands, Français et Turcs, aurait de si graves conséquences sur la vie industrielle, commerciale, financière, sur la vie quotidienne des peuples, qu’il sera évité à tout prix.
Les grands montrent leurs muscles, mais ne se cognent pas.
Est-ce à dire qu’une guerre ne peut pas éclater ? Ne soyons pas naïfs, on ne peut exclure des enchaînements non voulus ou, un jour, des décisions irresponsables de dirigeants. Le jeu que mènent ces jours-ci l’Iran et les USA au Moyen-Orient est très dangereux ! C’est clair, ni l’un ni l’autre ne veut la guerre mais…à ce jeu, on peut déclencher ce qu’on ne voulait pas !
Il n’empêche, la mondialisation économique et financière est facteur de paix. Ce n’est pas pour rien que depuis 1945 il n’y a plus eu d’affrontement guerrier généralisé après les grands massacres de 1914 / 1945, la guerre de trente ans, comme disait Fernand Braudel,
(14 / 18 : 15 millions de morts. 39 / 45 : entre 65 et 75 millions !). Depuis, il y a eu certes de nombreux conflits, il y en a encore, et ils ont provoqué des milliers de morts, mais pas d’affrontement généralisé. Et malgré les centaines de milliers de morts de ces conflits terribles on est loin quand même des massacres des deux guerres mondiales ; et les victimes les plus nombreuses depuis 1945 ne sont pas celles-là mais ce sont les dizaines de millions de morts imputables aux régimes stalinien et maoiste !
Enfin, la mondialisation de l’économie de marché, y compris en Chine, depuis la chute du Communisme soviétique, a permis, surtout en Asie, mais pas seulement, à des centaines de millions de personnes, de sortir de la misère noire, de connaître une forte hausse du niveau de vie ce qui se traduit par : meilleure alimentation, logement décent, scolarisation des enfants, baisse de la mortalité infantile, augmentation de l’espérance de vie. Seuls ceux qui ne cherchent pas à s’informer sérieusement ou pire, des gens aveuglés par leur idéologie peuvent réfuter ce fait. D’après la Banque mondiale depuis 1990, 1 milliard de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté et on est passé de 44 % en 1987 à 13% en 2018 de gens dans l’extrême pauvreté.
Cela ne veut pas dire qu’il ne reste pas encore beaucoup trop de femmes et hommes, des centaines de millions, qui connaissent une misère insupportable…Mais il y en a beaucoup moins qu’avant quoi qu’en disent les alarmistes
Alors la mondialisation ?
Elle pourrait être la meilleure des choses ! Hélas, dans l’histoire des êtres humains, la marche en avant n’a jamais été linéaire ni simple, il y a toujours eu des bénéficiaires et des victimes, des avancées et des reculs et ce qui était bon pour les uns devenait le pire pour d’autres. Qui peut croire que cela peut aisément changer ?
A chacune et chacun d’entre nous d’agir pour minimiser le pire partout où il frappe.
Le combat pour cela n’aura pas de fin !
Henricles. Le 6 août 2019. Anniversaire d’Hiroshima.