22 Mars 2018
Initiative intéressante à Yssingeaux : l’association « Cinéma…m’était conté » organise une semaine consacrée à Mai 68 à l’occasion du cinquantenaire de ces événements. Projections de films, débat et une courte conférence un soir que l’auteur de ce blog a été invité à prononcer devant le public avant la projection du film : « Après-mai » d’O. Assayas
Vous trouvez ci-dessous le texte de cet exposé que je publie en trois parties.
Bonne lecture
1) État du monde en 1968.
Deux blocs rivaux. Il y a eu dégel mais on est encore dans la Guerre froide. Brejnev en URSS. Bloc soviétique. L’URSS reste une puissance redoutable, peu d’observateurs ont conscience de ses fragilités.
Depuis 1964 Chine de Mao : petit livre rouge et révolution culturelle. Rupture sino-soviétique. Ce que retiennent surtout de nombreux citoyens de gauche est le fait que la bureaucratie rigide du PC chinois est mise à bas par l’enthousiasme révolutionnaire des jeunes, les « Gardes rouges » que Mao a appelés à secouer, éliminer tous les vieux dirigeants ! Ceux qui critiquent une URSS figée dans une bureaucratie autoritaire sans plus aucun élan révolutionnaire, se tournent avec admiration vers les Gardes rouges chinois !
Plusieurs centaines de milliers ou des millions de morts ! Mais en 1968 les gens ignorent cette réalité.
Parmi les pays communistes, le Cuba de Fidel Castro est aussi un modèle fascinant pour de nombreux jeunes et militants révolutionnaires par sa capacité à résister à l’impérialisme américain. Le bon petit David socialiste face au méchant Goliath yankee !
États-Unis. Nixon Républicain président a succédé à Johnson lui-même président depuis l’assassinat de Kennedy en 1963
Lutte contre le communisme est une priorité. Le Communisme c’est le Mal.
Péninsule indochinoise ex-française (Vietnam, Laos, puis Cambodge) guerre nationale communiste contre régimes nationalistes corrompus. Depuis 1965 les Américains mènent une guerre terrible au Vietnam. Plus de 450 000 soldats américains n’arrivent pas à mettre fin à la guerre menée par Hanoï (Ho Chi Minh et Giap) Enfer vietnamien pour les soldats américains qui ne font pas face à une armée facile à repérer mais à une guerre où toute femme ou homme du peuple peut cacher un ennemi.
Amérique latine : depuis la révolution cubaine et l’alliance de Fidel Castro avec l’URSS, les USA redoutent plus que tout le communisme en Amérique latine leur « arrière-cour ». Soutiens aux pires dictatures militaires anticommunistes (Paraguay de Stroessner, Brésil depuis 1964).
Che Guevara veut créer « deux ou trois Vietnam » en Amérique contre l’impérialisme américain
Che Guevara est arrêté en Bolivie et fusillé le 8 octobre 1967. Il est devenu peu-à-peu véritable icône « christique » de la jeunesse romantique,
Aux USA la lutte des noirs contre les discriminations et le racisme est animée depuis des années par le pasteur non–violent Martin Luther King assassiné le 4 avril 1968 !
Europe de l’Ouest.
Allemagne coupée en deux. RFA et RDA ? Mur de Berlin depuis 1961
Europe de l’ouest tout entière alliée des États-Unis qui la protègent du communisme.
En France De Gaulle président de la V° République depuis janvier 1959, mais arrivé au pouvoir, de fait, depuis 1958.
Force de frappe atomique symbole de la volonté française d’être un « grand » et d’être autonome par rapport aux USA. 1968 : première Bombe « H »
Espagne Franco. Portugal Régime salazariste. Grèce dictature de colonels depuis 1967.
Europe des six fondateurs. (RFA, Pays-Bas, Belgique, Italie, Luxembourg et France)
Apparente stabilité de l’Europe de l’ouest.
Le 15 mars 1968 l’éditorialiste du journal « Le Monde » écrit un long article sur le thème et avec le titre : « la France s’ennuie » !
Même s’il y a parfois des incidents dans les universités et de nombreuses contestations étudiantes en Europe.
Ailleurs dans le monde
Conflit Monde arabe et Israel : la guerre des six jours en 1967 a vu la victoire rapide d’Israël qui occupe de nombreux territoires conquis ( Sinaï, Golan , Cisjordanie).
Afrique : guerre civile au Nigeria : Biafra.
Indonésie : dictature anticommuniste qui depuis 1965 dirige le pays après un massacre de plus de 500 000 « Communistes » !
Inde
Indira Gandhi fille de Nehru premier ministre
Cultures et Techniques.
1968. C’est un monde sans Internet bien sûr, ni téléphone portable, ni ordinateurs personnels ou professionnels. En France 85 % des ménages n’ont pas le téléphone qui demeure un luxe.
Les appareils de reproduction du son tels que Chaîne hifi ou magnétophones sont encore chers, lourds et non miniaturisés.
En France la contraception autorisée seulement et sous restrictions en 1967 (loi Neuwirth) n’est pas du tout généralisée. L’avortement demeure un crime. La cohabitation prénuptiale est massivement rejetée et lorsqu’une jeune femme a un enfant hors mariage, elle est souvent méprisée, rejetée comme « fille-mère » tandis qu’on ne dit rien aux hommes avec lesquels ces vilaines filles ont fauté !
Les établissements scolaires sont différents pour les garçons et les filles. Pas de mixité. (Obligatoire seulement en 1976)
Les organisations de jeunesse comme le Scoutisme, les Cœurs vaillants ou autres encadrent une grande partie de la jeunesse. Les églises et au premier rang l’église catholique rassemblent un grand nombre de fidèles même si la pratique religieuse encore forte a tendance à diminuer. Les patronages des paroisses organisent les loisirs des enfants et adolescents. La JAC, la JEC et la JOC réunissent les militants chrétiens
A l’extrême-gauche, les organisations de masse du PCF ou qui lui sont fortement attachées sont très nombreuses aussi (Secours populaire ; jeunesses communistes ; CGT ; mouvement de la Paix)
Les gens et particulièrement les jeunes sont encadrés et canalisés dans des organisations collectives, certes éducatives et de loisirs, mais qui imposent des contraintes sociales fortes, dont les jeunes adolescents et jeunes adultes n’ont pas idée au XXI° siècle. D’autant plus que tous ces mouvements sont des organisations pyramidales dirigées par des adultes auxquels il faut obéir et qu’il faut respecter en tant que tels ! La parole et les décisions ne sont quasiment jamais données aux jeunes. La Parole de l’adulte, du dirigeant, ne saurait être remise en question.
Les familles demeurent patriarcales. A table dans la bourgeoisie, les enfants n’ont ni le droit de parler ni le droit de réclamer. Dans les familles ouvrières ou paysannes, lorsque le père a parlé, on ne peut contester et la mère baisse la tête.
La drogue – en dehors du tabac et de l’alcool – est encore cantonnée à de petites minorités du monde du spectacle ou du tout-Paris riche et oisif. Elle ne viendra massivement que plus tard
Grande différence entre les établissements scolaires fréquentés par les enfants d’ouvriers et paysans et ceux des classes bourgeoises. Même s’il se démocratise peu-à-peu, l’enseignement secondaire des lycées reste élitiste : Seuls 18 % d’une classe d’âge présente le baccalauréat en 1968. Ils n’étaient que 5% en 1950. (77% en 2015) !
Télévision et radios sont un monopole de l’État : l’ORTF ! « La voix de la France » disait Georges Pompidou » !
On connaît le plein emploi, mais en France le chômage a tendance à augmenter. 200 000 en 1964, 350 000 en 1968 ! Soit 2% de population active mais 5% chez les jeunes. En 1968 un sondage révèle que 75% des salariés ont peur de se retrouver un jour au chômage !
Pompidou pense qu’à 1 million de chômeurs la société explose ! On en est encore loin en 1968 !
Il y a plus de 7500 000 ouvriers, déjà 3700 000 employés mais encore 3160 000 actifs agricoles et …515000 domestiques !
La durée moyenne du travail des salariés est de 44 h par semaine et la plupart n’ont que 3 semaines de congé payé bien que syndicats et patrons aient passés en 1965 un accord pour la quatrième semaine.
C’est dans ce monde si différent de celui d’aujourd’hui que vont avoir lieu un peu partout des révoltes contre l’ordre établi, souvent de la part des jeunes étudiants mais pas toujours, pas seulement.
Nous allons évoquer tel ou tel de ces mouvements de contestation dans le monde mais c’est en France que le mouvement de mai a pris des allures insurrectionnelles et a ébranlé fortement le pouvoir politique : nous y consacrerons la dernière partie de notre exposé.