Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog politique et culturel de henricles

C'est le blog de quelqu'un qui n'appartient à aucun parti politique mais qui pense que le simple citoyen peut s'emparer des questions politiques économiques et de société pour proposer ses réflexions etdonner son avis C'est également un blog littéraire et culturel où je place divers récits et oeuvres qui me concernent et ont un intérêt. notamment des récits de voyage et des tableaux d'amies peintres

Vivre heureux à Brasília ?


         Extrait d’un message reçu d’une amie voyageuse, à l’esprit particulièrement sagace !

« J'ai été absolument subjuguée par le geste architectural, le concept de "ville totale" à forte portée symbolique, créée à partir de rien par des urbanistes / architectes géniaux, la beauté plastique des constructions, l'esthétique des accords somptueux entre le béton, les miroirs d'eau, les plantations ... Bref… on y croit, on est même ébloui par tant d'audace et d'ingéniosité.

Passés le choc esthétique et l'exaltation, j'ai ressenti, il est vrai, comme un vague malaise : la sensation d'avoir déambulé dans un prodigieux décor de théâtre (où l'on retrouve la théâtralité du baroque brésilien ...). Splendeur et vacuité ... Où sont les habitants de cette ville nouvelle sortie de rien, marquée par la démesure et conçue comme un phare destiné à éclairer des vastitudes sous - denses ? 

 Une ville sans échoppes, boutiques, magasins, rues tranquilles où déambuler pédestrement, petites places avec bistrots et restaurants, café du coin, etc ... est-elle encore une ville ?  Ou une création belle et dangereuse qui échappe un jour à son créateur pour engendrer des cités satellites qui ne sont plus la vie rêvée des anges de la cathédrale de Brasilia ? En plus court : peut-on être heureux à Brasilia ? »

Vraie question posée par celle à qui 24 h passées en touriste à Brasília ont suffi à comprendre que cette ville était peut-être une « non-ville » !

Il se trouve que nombreuses sont ici à l’université de Brasília les recherches qui ont donné lieu à des mémoires de diplômes consacrés à ce sujet : les habitants de la capitale s’interrogent eux aussi sur la nature de leur « ville ».

Trois témoignages pour commencer une tentative de réponse.

L’auteur de ce blog a passé trois fois plusieurs semaines, depuis 2004, à Brasília, dans divers quartiers de villes-satellites et une fois dans une villa du Plano Piloto. Il n’arrive toujours pas à s’y repérer et déplacer facilement. Si bien qu’il se sent un peu prisonnier et dépendant de qui y vit depuis longtemps et le conduit là où il veut aller, lui indique les endroits recherchés. On a toujours besoin, pour une exposition, un cinéma, un spectacle, une démarche, la recherche d’une boutique de qualité, d’aller au Plano Piloto. Nous savons, certes, y aller seuls, ma femme et moi. Il y faut une heure et demi de bus et métro et arrivés là-bas, sans voiture, -(nous n’avons pas encore loué de voiture)- on ne peut que se rendre à un endroit précis, peut-être à un autre encore : le temps et l’énergie manqueront pour aller ailleurs ! Impossible d’obtenir un plan précis des trajets de bus ! Et pas de plan détaillé de la ville et ses alentours. Dans l’immense et très populeuse gare routière du centre, les Brésiliens eux-mêmes sont souvent perdus et s’interrogent sur le quai et le numéro du bus qu’ils doivent prendre. Si vous ajoutez qu’autour de Brasília la nature nous est fermée, trop dangereuse pour autoriser la  promenade, la balade, que le beau lac qui entoure la ville, est infesté paraît-il de bêtes dangereuses qui vous interdisent une baignade tranquille, vous comprendrez un peu les inconvénients de la vie quotidienne pour qui n’est pas installé depuis longtemps.

Alors, Brasília, un désert urbain ?

 Attention, n’en concluez pas de façon trop hâtive, que non, on ne peut vivre heureux à Brasília !

L’autre témoignage.

Chaque fois qu’au cours de mes nombreux séjours à Brasília j’ai rencontré des « Brasilienses », des gens nés ici ou installés depuis longtemps, ils m’ont toujours dit qu’ils y vivaient heureux et étaient attachés à cette ville ! De catégories sociales diverses, ils habitent soit le Plano Piloto soit d’autres quartiers et vivent là, sans se plaindre de leur « non-ville » ! Ils en sont même fiers ! Ils aiment leur capitale.

Dernier témoignage.

Plus étonnant. Florence, à Brasília, depuis bientôt 8 ans, Margot, sa fille, 16 ans, ici elle aussi, Olivier son fils, s’y trouvent vraiment bien et ne se sentent ni contraints ni perdus dans ce qui m’apparaît être un espace  peu hospitalier, avec lequel il est si difficile de se familiariser. L’une se déplace exclusivement en voiture les autres vont partout en bus ou métro à n’importe quelle heure ! Interrogés hier au soir sur ce sujet, ils  ont répondu qu’en questionnant les gens on trouvait toujours son chemin et qu’il était donc aisé de se déplacer où on voulait et quand on le souhaitait ! Difficile de contester l’expérience de qui vit là parfois depuis 8 ans ! Et, menés en voiture à divers endroits, nous constatons avec admiration comment Florence s’oriente sans hésiter dans le dédale de voies rapides, nœuds routiers, courbes et contre-courbes et passages souterrains d’autoroutes enchevêtrés.

Alors Brasília ? Une vraie ville ?

 Pas de place ou placette, pas de rues de boutiques diverses avec bistrots ou cafés avec terrasses, petits restaurants, cinémas, librairies ou grand magasin, Pas de ces lieux de sociabilité qui, comme l’a écrit ma voyageuse, font pour nous, qu’une ville est une ville.

C’est vrai. Mais ce n’est qu’une apparence.

Ces lieux existent. Ils sont d’abord dans les « quadras », ces ilots, tous dessinés pareillement, où habitent les gens du Plano Piloto. Là, sont des restaurants, des cafés où les gens aiment se retrouver pour un « pot » ou pour déjeuner. Là parfois il y a de petits restaurants avec terrasse ombragée, là il y a une rue, une seule, toujours la même quelle que soit la « quadra » avec boutiques et magasins. Et pour aller d’une « quadra » à une autre, il faut prendre sa voiture et parcourir des voies larges aux tracés complexes qui évitent les croisements et feux tricolores par des courbes et souterrains.

Ces lieux existent : ce sont les nombreux « clubs » privés, au bord du lac, des corporations diverses, policiers, militaires, fonctionnaires, pompiers, magistrats et les clubs de golf, d’équitation ou de voile, où ils se retrouvent eux, leur familles et invités, pour dîner, passer un dimanche, pour  un « churrasco » du samedi soir (soirée de  grillades et boissons, bière ou vin, en musique bien sûr !).

Ces lieux existent : ce sont les « shopping » les centres commerciaux à air conditionné, gardés, « sécurisés » soit au centre du Plano Piloto, soit en périphérie, à 3 ou 4 étages, où d’immenses parkings permettent aux habitants du Plano Piloto de venir en voiture et éviter les bus ou métros que ne prennent que les « gens du peuple » ou des jeunes. Il y a de nombreux restaurants, des salles de jeux, des cinémas. C’est dans un de ces « shopping » à une demi-heure au moins en voiture, du centre qu’il y a la seule vraie grande librairie de Brasília et la Fnac. Il y a aussi une autre librairie installée sur le campus de l’Université nationale de Brasília, mais c’est très excentré du centre du Plano Piloto. Les Brésiliens, même étudiants, lisent peu.

Quant aux gens du peuple, le Plano Piloto n’est pas leur ville. Et dans les villes –satellites, il y a comme partout, restaurants, bistrots, salles de jeux videos, tous les lieux habituels de sociabilité des classes populaires. Mais il n’y a ni vraie librairie ni cinéma de qualité ni boutiques de produits « bio » ou de vêtements ou accessoires de marque ni salon de thé ou pâtisserie où déguster un bon gâteau autour d’une tasse de chocolat, ni grand café confortable et calme comme ceux de Buenos Aires. 

Vous l’avez compris, Brasília est avant tout la  ville de la ségrégation sociale,  ségrégation inscrite dans l’espace, impossible à surmonter. Les gens qui habitent le Plano Piloto ne s’aventurent pas dans les villes satellites où ils ne sauraient se diriger et craindraient d’y côtoyer trop de saleté, de pauvreté, donc pour eux, d’insécurité ; insécurité d’ailleurs toute imaginaire sauf à certains endroits particulièrement mal fréquentés dont il serait inutile de nier l’existence. Les passages souterrains du Plano Piloto recèlent bien plus de danger la nuit !

  Brasília c’est aujourd’hui l’inverse de l’utopie pensée et planifiée par Lucio Costa et Niemeyer.

Brasília, c’est une capitale à l’image d’un pays où les inégalités sociales sont parmi les plus fortes des grands pays du monde. Brasília, c’est la capitale d’une classe dominante, politique, au service d’abord d’elle-même (les hauts et « moyens » fonctionnaires et tous les politiciens bénéficient dans ce pays d’avantages considérables, largement augmentés par une corruption généralisée) et au service de la seule minorité vraiment riche de banquiers, chefs d’entreprise, médecins, professions libérales,  cadres dirigeants, commerçants, propriétaires divers : 15 % de la population ? 

Alors vivre heureux à Brasília ?

Les privilégiés vivent-ils heureux, plus heureux à Rio qu’à Brasília ? A São Paulo ? Les uns vous répondront que oui les autres que non !

Quant au peuple, il ne vit pas vraiment à Brasília vous l’avez compris.

Une remarque pour finir : le revenu moyen par tête est dans le District fédéral de Brasília beaucoup plus élevé que partout ailleurs au Brésil, les indices statistiques disent tous que les gens y sont  plus « riches » que n’importe où ailleurs au Brésil. Alors il y a quelques chances que le peuple d’ici en profite un peu. Les restes du festin ne sont-ils pas plus abondants lorsque le festin est plus copieux ?

Et nous savons déjà combien grande est la capacité des Brésiliens à prendre la vie du bon côté, à rire, sourire et faire la fête plutôt que pleurer sur leur misère.

 

Henricles. 29 octobre 2012.

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article