14 Mai 2016
Marché de l’emploi, chômage et entreprises I
Or, si la population d’actifs ayant un emploi en France était en 2014 de 25,8 millions de personnes, il y avait environ 5 millions de ceux-là qui sont quasi « propriétaires » de leur emploi et qui l’occuperont sans le quitter avant la retraite, ce sont les titulaires des trois fonctions publiques, d’État, hospitalière et des collectivités locales. (Il y avait 5,6 millions de fonctionnaires mais je n’ai compté ici que 5 millions pour tenir compte des contractuels qui peuvent perdre leur emploi). Ajoutez à ceux-là, probablement 3,5 millions au moins de personnes qui, par richesse, aisance, relations, positions supérieures dans la société ou grâce à la protection de conventions collectives ou de syndicats puissants bénéficient, de fait, sinon d’une garantie de l’emploi, du moins de stabilité et de sécurité et vous comprenez alors la rigidité de notre marché du travail. Si 30% ou 35% des emplois sont, de fait, fermés à ceux qui arrivent ou réservés aux fils, amis, copains, neveux des autres, le marché du travail n’a pas la fluidité nécessaire pour que certains libèrent des postes que d’autres pourraient occuper. Lorsque le patronat parle de rigidité comme obstacle à l’emploi, ce n’est pas parce que c’est le patronat qui le dit que c’est faux. Le problème avec ce patronat est que les licenciements massifs suivis de délocalisations ne semblent pas le gêner et qu’il ne se demande pas si les conditions d’emploi ne sont pas une des causes de la fameuse inadéquation entre les offres et demandes d’emploi. Le problème aussi avec trop de dirigeants d’entreprise, est que le mode de gestion de leur personnel s’accompagne souvent d’un licenciement qui consiste à faire supporter à la collectivité des charges qu’ils ne veulent pas assumer alors que par ailleurs ils se plaignent du haut niveau des cotisations qu’ils ont à payer ! Ainsi par exemple des « préretraités » cadres en fin de carrière – au salaire élevé – mis à l’Assedic jusqu’à leurs 60 ou 62 ans tandis qu’on embauche à la place des jeunes moins coûteux : l’Assedic utilisée par les chefs du personnel, pour rajeunir la pyramide des âges !
Disons au début de ce paragraphe, que nous ne parlons ci-dessous que du rôle économique de l’entreprise au sens strict. Il est vrai que l’entreprise a aussi un rôle « social » ou « sociétal » et « citoyen ». Mais cela ne lui est possible que si elle existe en tant qu’entreprise économiquement viable, durable, si elle a une certaine prospérité.
« Emploi » vient du latin « implicare » c’est-à-dire « se plier à » se plier à la production d’un bien ou d’un service ! Parce qu’en définitive, la seule chose qui compte ce sont les biens (matériels) et les services (santé ; transport ; enseignement ; culture ; arrangement de l’espace ; musique ; etc.) qu’on produit et réussit à vendre. Le seul but de l’activité économique et du travail est de produire des richesses, biens ou services ! Il faut donc que l’embauche d’un salarié permette de produire plus et de telle façon que le coût de ce salarié (salaire ; charges diverses) soit inférieur au prix de la production supplémentaire obtenue grâce à cette embauche. On peut certes accepter que pendant quelque temps un nouveau salarié coûte plus qu’il ne rapporte, mais à terme, il faudra qu’il rapporte plus sinon, c’est simple, une entreprise qui embaucherait beaucoup de salariés qui lui coûteraient plus que le prix de vente de la production supplémentaire obtenue par ses salariés, se condamnerait à disparaître !
En conséquence, « créer des emplois » dans une entreprise privée ou publique qui vend et vit du résultat de ses ventes sur le marché, ne peut être le but prioritaire d’une entreprise. Le but d’une entreprise est de vendre, donc produire le meilleur service ou produit à un prix tel qu’il sera demandé sur le marché. Et ainsi l’entreprise pourra se développer et embaucher pour produire. Plus et mieux elle vendra sur le marché, plus elle aura besoin de produire, (bien ou service) et donc plus elle embauchera. Les emplois nombreux n’auront pas été « créés » mais auront été offerts à ceux qui acceptent de se plier à sa tache de production parce que l’entreprise en aura eu besoin !
Mais depuis les années « Reagan », ce qu’on a appelé les « reaganomics », la libéralisation devenue quasi-totale des mouvements de capitaux accompagnée de la mondialisation, a permis aux « capitalistes », c’est-à-dire ici aux « financiers », d’imposer leur pouvoir aux grandes et moyennes entreprises et par conséquent aux autres qui leur sont de fait soumises. Et le but de l’entreprise, n’est plus seulement de produire et vendre mais hélas de « produire de la valeur » pour les capitalistes, soit avoir des « actions » qui montent ou des « dividendes » toujours plus élevés. Et les fonds financiers vont vendre, acquérir, licencier, parfois liquider, dans un but et un seul : que les actions montent sur le marché et que la rémunération des capitaux investis soit toujours plus élevée.
Les managers qui, au temps des années 60 / 70 du XX° siècle, formaient ce qu’on appelait la « technostructure », ont perdu une grande partie de leur pouvoir passé aux mains des financiers. Le pouvoir est passé à la bourse et aux « marchés financiers »
Le « projet entrepreneurial » des gestionnaires, ingénieurs et techniciens a été malheureusement remplacé par le « projet financier » !
Cette situation, venue des États-Unis par le néolibéralisme auquel l’Union européenne n’a pas cherché à résister, explique bien choses. Notamment au vu de ce qui se passe dans le monde des multinationales et autres, on comprend pourquoi les syndicats de salariés défendent avec acharnement leurs « avantages acquis » (salaires ; conventions collectives ; œuvres sociales généreuses des C.E. ; augmentations de rémunérations ou jours de congé supplémentaires liés à l’ancienneté etc.) Prenons un exemple parmi tant d’autres : Les salariés de France-Télécoms, étaient comme tous ceux des ex-PTT des quasi fonctionnaires qui bénéficiaient d’un statut protecteur, « rigide » qui donnait lieu à des abus de la part de certains : lorsque France-Télécoms est devenue « Orange » entreprise privée partie à la conquête de la meilleure performance en bourse et à la conquête…du monde, les managers ont imposé à leurs salariés, des conditions de performance et de stress telles qu’elles ont provoqué des troubles graves, une désaffection de nombreux salariés à l’égard de leur travail et même une vague de suicide ! La transformation de l’entreprise, jugée alors nécessaire, pour lutter contre les abus nuisibles d’un statut protecteur, a entraîné un mal plus grave : une dégradation scandaleuse des conditions de travail et la désaffection de nombreux salariés, y compris des cadres à l’égard de leur entreprise ! On comprend que les syndicats se battent avec acharnement pour éviter ce type de changement nonobstant la rigidité ainsi conservée !
Disons-le ici avec force : tant que les dirigeants soumis aux exigences des financiers, imposeront des conditions de travail inhumaines, aliénantes, trop mal payées, il sera normal que les salariés et leurs organisations se battent pour garder leurs « avantages acquis ». Même si, hélas, ceux-ci entraînent souvent une inégalité difficile à admettre entre ceux qui en bénéficient, les « In », et la masse de ceux, les « Out » qui ne réussissent pas à intégrer ces entreprises et restent condamnés aux CCD, stages, emplois aidés et chômage indemnisé ou non ! Mettre fin aux rigidités au profit de la souplesse et de la prise de risque est un impératif mais ne peut être accepté si c’est pour que les financiers et dirigeants s’en servent pour « déshumaniser » les conditions de travail sous prétexte de la nécessaire performance ! Dans une prochaine chronique nous reviendrons sur ces questions-là et celle de la productivité et de la fameuse durée du travail.
Henricles. Mazet-Saint Voy. 14 mai 2016